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Maison de paille
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Collectif Straw d’la Balle: la voie de l’action directe

Entretien avec Urs Zuppinger

Le 24 août 2007 le collectif Straw d’la Balle a commencé à construire une maison de paille, sans permis de construire, sur un terrain communal à Lausanne. Cette initiative a fait surgir un débat urbanistique de fond

Le flot de visiteurs quotidiens et le succès de la pétition qui avait été lancée, témoignent de la sympathie que cette initiative a suscité chez de nombreux habitants de Lausanne et d’ailleurs. A l’opposé, la droite politique a tout de suite attaqué le non-respect du droit de la propriété privée du sol, ce droit qui autorise les détenteurs de capitaux et les tenants de l’économie privée à exploiter le marché urbain à leur profit. La majorité rose-verte de la municipalité lausannoise (exécutif) ne savait plus que faire, prise en tenailles entre la volonté d’affirmer le rôle de l’autorité et la crainte de perdre des plumes si elle passait à l’acte en réprimant une démarche hors la loi mais à contenu écologique et social fort. Pour trouver une issue, le maire proposait qu’une maison de paille soit construite sur un autre terrain communal, «dans les règles» cette fois-ci. Et après démolition de la bâtisse érigée «en fraude». Après deux mois de non-décision, le Conseil communal (législatif) du 6 novembre 2007 a adopté, grâce au soutien de la droite, des «socialistes» et des verts (à quelques abstentions près), une résolution qui enjoignait la Municipalité de procéder sans tarder à la démolition.

Ce durcissement des fronts a mobilisé le collectif et ses partisans. Le délai municipal, fixé initialement au 20 novembre, a pu être reporté à plus tard grâce à l’engagement d’une procédure judiciaire. Une association de soutien s’est constituée. La manifestation de soutien du 1er décembre a rassemblé 3 à 400 personnes. Le 13 décembre, lors d’une rencontre entre représentants du collectif et de la municipalité, la perspective d’une maison de paille réalisée sur un autre terrain communal semblait se préciser. Quelques jours auparavant, l’association de soutien avait déposé à la municipalité un dossier qui proposait, en tant qu’alternative à la démolition, l’aménagement du site en tant que «parc didactique d’expérimentation technologique et sociale» qui intègre la maison de paille. Tout le monde était suspendu à ce qui allait se passer dans les jours et semaines à venir. Et puis est venue la nuit du 20 au 21 décembre 2007, date à laquelle la maison de paille a été anéantie par le feu. Les deux personnes qui y dormaient, ont pu quitter les lieux à temps.

Ce drame n’a cependant pas arrêté le mouvement. Le 27 décembre le collectif Straw d’la Balle a déposé plainte pénale contre inconnu, car il n’est pas d’accord avec la thèse de l’accident mise en avant, dès le jour de l’incendie, par la police. Il a publiquement annoncé sa volonté de reconstruire une nouvelle maison de paille. Durant les deux semaines qui ont suivi l’incen­die, la municipalité n’avait pas retiré sa proposition de mettre à disposition un terrain. Une nouvelle rencontre devait avoir lieu le 16 janvier. Puis, le jeudi 10 janvier, elle a soudainement décidé d’arrêter les frais en affirmant avoir perdu confiance dans le collectif.Straw d’la Balle et l’association de soutien sont décidés de poursuivre le combat.

La brèche: Qu’est ce qui fait, à ton avis, la particularité et l’intérêt de la démarche engagée par le collectif Straw d’la Balle?

Urs Zuppinger – Les membres du collectif Straw d’la Balle font partie d’une génération à laquelle l’ordre néolibéral n’offre que le «choix» de se soumettre aux règles d’une société régie par le profit ou alors de vivre en marge. Ils ont refusé ce diktat et sont entrés en contestation. Mais au lieu d’avancer des revendications face à des interlocuteurs qui ne leur inspirent aucune confiance, ils ont choisi la voie de l’action concrète et démonstrative.

Dans leur quotidien, ils s’affrontent de façon tout à fait terre à terre au problème de trouver un endroit pour se loger. Ils n’ont ni les ressources, ni l’envie de résoudre ce problème en courant les gérances. Ils ont par contre des bras, des têtes et la volonté de tester des méthodes radicalement écologiques. L’autoconstruction s’est dès lors imposée à eux comme une évidence, mais ce mode de faire n’est pas admissible selon les procédures en vigueur. Le choix d’un terrain communal s’est aussi imposé comme une évidence, car une telle parcelle n’appartient-elle pas en fin de compte à tous. Le collectif n’a pas choisi n’importe quel site, mais une surface en friche au centre de Lausanne où leur projet ne dérangeait personne. Leur action a mis en évidence ce terrain qui pourrait, de ce fait, être valorisé à l’avenir de façon intéressante, par exemple, dans la continuité de leur initiative. Et pour finir, le refus de déposer une demande de permis de construire coulait également de source. En effet, les lois et règlements sur l’urbanisme et les constructions ne sont pas faits pour tester des méthodes nouvelles, radicalement écologiques.

C’est du moins ce que j’ai compris de l’action du collectif Straw d’la Balle, en étant ni du milieu, ni de la génération de ses membres. Et cela a suffi de me convaincre que j’étais face à une action subversive d’un genre nouveau qu’il fallait soutenir.

N’as-tu pas aussi été stimulé dans ton enthousiasme par le constat que cette action plongeait la Municipalité à majorité rose-verte dans l’embarras?

Lausanne avait besoin d’une action qui démasque l’hyper-conformisme du projet politique de cette majorité rose-verte! Dans les années 1970 à 1995 l’urbanisme lausannois avait suscité des mouvements de contestation. Il n’est pas devenu meilleur depuis que la majorité rose-verte gouverne la ville, mais la contestation avait disparu.

Le projet Métamorphose me reste encore à travers la gorge. Qu’une commune se préoccupe de l’utilisation future de son patrimoine foncier est en soi une bonne chose. Mais la façon avec laquelle le préavis d’intention sur Métamorphose a été monté, de concert entre la majorité rose-verte et la droite du Conseil communal, pour éviter tout ce qui pourrait avoir pour conséquence de susciter un débat public sérieux sur l’urbanisme de Lausanne et environs est lamentable.

S’agissant de la maison de paille, il est faux d’affirmer que la Municipalité à majorité rose-verte était mise sous pression par la droite. Si elle n’avait pas été fondamentalement d’accord avec cette dernière, elle aurait pu agir autrement. Il suffisait qu’elle dise au collectif: «D’accord, vous avez transgressé quelques règles et procédures, mais votre démarche soulève des questions importantes et vous l’avez engagé sur un terrain qui nous appartient, qui est en friche et qui mériterait d’être valorisé. Regardons donc ensemble comment tirer le meilleur parti de votre initiative et comment s’y prendre pour la rendre compatible avec les lois.»

Une telle ouverture aurait d’ailleurs aussi été le meilleur moyen d’éviter qu’un drame ne se produise, du type de l’incendie qui a ravagé la maison. La Municipalité n’a pas choisi cette voie, parce que les «socialistes» et les verts ne pensent plus qu’à une chose: s’inscrire dans le soi-disant trend à droite de la scène politique suisse.

Mais la créativité et le message politique clair de l’initiative prise par le collectif les a empêchés d’aller au bout de leurs intentions. En tergiversant pendant deux mois, ils ont au moins permis la reconstitution d’un début de mouvement de contestation de la politique urbanistique lausannoise. Je pense qu’on en aura besoin dans les mois à venir.

L’incendie de décembre n’a-t-il pas entamé la crédibilité du collectif et des professionnels qui soutenaient son action en affirmant que la sécurité de la maison de paille était en dessus de tout soupçon?

L’anéantissement de la maison est évidemment un coup dur. Mais à ma connaissance, aucun indice crédible ne permet de conclure que les constructeurs et habitants de la maison en seraient responsables. Le collectif a eu raison de présenter publiquement sa version des faits, car ses adversaires ont un intérêt évident de criminaliser son action.

La décision municipale de rompre avec le collectif est une nouvelle preuve que la coalition rose-verte qui dicte le cours de la politique des autorités lausannoise a choisi son camp, celui des sentiers battus par les tenants de l’ordre et les milieux économiques. Des maisons de paille ont déjà été construites en Suisse alémaniques, en Allemagne, aux Etats-Unis, dans le Tirol du Sud, etc. et certaines ont jusqu’à quatre étages. Elles sont hyper- performantes sur le plan énergétique, se prêtent à l’auto-construction et impliquent bien moins de risques d’incendie qu’un chalet. Le collectif et l’association de soutien ont les moyens de démontrer leur crédibilité en poursuivant sur leur lancée.

J’estime qu’il faudrait mettre l’accent dès à présent sur trois points. Tout d’abord, tirer un bilan sérieux de ce qui s’est passé afin d’apprendre pour l’avenir, car si la maison de paille a la portée d’une expérimentation socio-politique et écologique, une évaluation créative fait partie du processus. Ensuite, réussir la construction d’une autre maison de paille, car la démarche le mérite. Enfin, élargir la démarche à une réflexion sur la ville que nous voulons.

Je ne peux que saluer les initiatives qui ont été prises par le collectif et par l’association de soutien à la suite de l’incendie du 21 décembre et des initiatives nouvelles qu'ils reprendront.

(25 février 2008)

 
         
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