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Un hiver à la charge des travailleurs…

Alex Martins

La météo de cet hiver 2008-2009 permet de jeter un regard sur les conditions de travail dans le bâtiment et sur les dispositions censées y régler le temps de travail.

L’article 28 de la convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse (CN-2008 qui couvre environ 80000 salariés) prévoit à son 2e alinéa que «lors de conditions météorologiques qui mettent en péril la santé du travailleur et/ou empêchent un déroulement efficace des travaux (pluie, neige, foudre, grand froid), les travaux de construction en plein air doivent être interrompus pour autant que cela soit techniquement possible».

Pas d’application automatique

Or, comme c’est le cas pour la plupart des dispositions conventionnelles, la concrétisation de cet article sur les chantiers n’est de loin pas automatique. Cette mise en application est en effet largement fonction d’un rapport de force et, partant, du degré d’unité du collectif de travail. Or, ce secteur se caractérise par une déstructuration des relations entre travailleurs par l’intermédiaire d’un recours toujours accru à la sous-traitance et aux travailleurs temporaires. Les questions purement techniques jouent également leur rôle, bien que leur définition puisse varier en fonction de l’avancement des travaux – facteur qui détermine aussi la plus ou moins grande pression mise sur le responsable de chantier selon les délais à respecter.

Lorsque l’interruption de travail est acquise ou lorsque l’entreprise renonce à travailler, les choses ne sont de loin pas réglées pour les travailleurs. Pour les temporaires, le flou sera souvent cultivé par l’agence qui l’a engagé, si bien que l’obstination ou la réclamation sont trop souvent nécessaires pour obtenir le paiement des jours manqués. Pour les salariés d’entreprises du bâtiment, il existe bien une section dans la loi sur l’assurance-chômage et insolvabilité (LACI) prévoyant une indemnisation par l’assurance-chômage de la perte de travail en cas d’intempéries à 80% du salaire. Mais les entreprises cherchent à ne pas y avoir recours, notamment en raison de la clause disposant qu’elles doivent elles-mêmes assurer le paiement de l’indemnité des deux premiers jours du mois…

Progrès de la déréglementation

Les récents développements autour de la réglementation du temps de travail dans cette même CN 2008 ont d’ailleurs fourni de nouvelles possibilités aux employeurs pour faire rattraper par les travailleurs les heures manquées pour cause de mauvais temps. En effet, malgré l’échec formel de la tentative patronale de pouvoir mettre ces heures à la charge des travailleurs par le biais d’heures négatives à rattraper durant le reste de l’année, le fond de l’offensive a été couronné de succès suite à un jugement d’application d’un «tribunal arbitral» en 2006. Ce jugement, confirmé par le renouvellement conventionnel de l’année dernière, interdit la pratique des heures négatives tout en permettant aux entreprises de modifier l’horaire annuel de travail en cours d’année avec une limite fixée à 48 heures par semaine. En conséquence de quoi, les travailleurs de ces entreprises vont travailler de 9 heures à 9h35 par jour durant la majeure partie de l’année, sans aucun supplément. Et cela étant fait sans aborder la question des heures supplémentaires dont 100 peuvent être stockées dans un compte pour être versées à 100% durant les intempéries de l’année suivante. La pratique du stockage des heures conduit ainsi à abolir la notion de supplément salarial – sauf à partir de la 49 e heure de travail hebdomadaire. Ces dispositions ont été intégrées à la CN signée en avril 2008 à côté de possibilités intermédiaires offertes aux entreprises et venant compliquer encore la faible lisibilité de l’ensemble  [1].

Perte de contrôle

Voici donc un système du temps de travail incompréhensible et hyper-flexibilisé, qui empêche tout contrôle de la part des travailleurs. Il a en outre l’avantage de correspondre pleinement au rythme de travail des travailleurs détachés par des entreprises étrangères en Suisse, ceux-ci étant conduits à faire de grosses journées afin de pouvoir passer plus de temps avec leur famille.

Sous-traitance et surexploitation

Ce tableau ne serait pas complet sans évoquer la partie moins visible de l’iceberg, c’est-à-dire le processus – inégalement développé – d’éclatement des statuts et des entreprises qui caractérise l’organisation actuelle du travail sur les chantiers. En témoigne par exemple l’accroissement continu de la proportion de travailleurs temporaires sur les chantiers, une frange de salariés très fragilisés. De même, la sous-traitance en cascade, organisée par étages et orchestrée par les grandes entreprises de la branche – qui s’opposent à toute disposition un tant soit peu contraignante concernant leur responsabilité envers les entreprises à qui ils sous-traitent une portion de travail – participe de cette déstructuration. Les rythmes de travail s’intensifient fortement, car tous les sous-traitants sont soumis à des délais spécifiques les uns vis-à-vis des autres. Dans un tel cadre, le samedi tend à redevenir un jour de travail normal sur les chantiers suisses.

Au bout de la chaîne de la sous-traitance, il est rare que les dispositions conventionnelles soient respectées. On rencontre plutôt dans ces micromarchés du travail un fort taux de travailleurs au noir hyperexploités. Mais la péjoration des conditions de travail ne se limite pas à ce secteur. Il va en effet de soi que les salaires conventionnels sont mis sous pression par le développement de la sous-traitance avec, en bout de chaîne, une sous-enchère salariale systématique.

Entreprises fantômes

Qui plus est, les entreprises sous-traitantes ont une durée de vie extrêmement brève. Si bien qu’obtenir auprès d’elles le paiement après un contrôle paritaire – quand ces entreprises ne fournissent pas de faux documents – ou après une procédure devant les tribunaux s’avère souvent peine perdue. Au moment où elles se trouvent enfin contraintes à payer le dû des salariés, elles ont en général disparu, alors que bien souvent une nouvelle raison sociale est fondée pour poursuivre les affaires. Le niveau de salaire moins élevé dans les autres branches du bâtiment – le second œuvre par exemple, secteur le plus touché par la «libre prestation de services» – participe également de cette mise sous pression constante, sans même mentionner l’impact de la mise en concurrence élargie à l’échelle européenne ou celui de la récession à venir…

1.. Un procès-verbal additionnel «temps de travail» précise que l’entreprise est dispensée d’établir un nouveau calendrier de travail lorsque la perte de travail peut être compensée dans le même mois civil ou par des heures supplémentaires emmagasinées. De même si la différence par rapport au calendrier initial est inférieure à 10 heures. Une commission d’application et d’interprétation est chargée de chapeauter ce «modèle» et d’effectuer des «éventuelles propositions en vue de modifier les réglementations sur le temps de travail».

(5 mars 2009)

 
         
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