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Histoires d’une assemblée

Charles-André Udry

Toute assemblée de travailleurs, en arrière-fond de ce qui peut apparaître comme des anecdotes, révèle l’intelligence collective des salariés

La grève avec occupation des travailleurs de CFF Cargo a été commentée par ceux qui l’ont conduite. Nous renvoyons à ce propos aux entretiens qui se trouvent sur nos sites (www. labreche.ch et www.alencontre. org) avec Gianni Frizzo, président du comité de grève, et Matteo Pronzini, membre de la direction d’UNIA Bellinzone et intégré au comité de grève et à la délégation aux négociations. Un Cahier La brèche sera publié et permettra de mieux connaître cette lutte, lors de son aboutissement.

Ce sera aussi un document à verser pour une discussion intelligente et raisonnée sur l’aspiration à un nouveau syndicalisme en Suisse et sa possibilité qui, modestement, pointe le nez. Ce ne sera donc pas un mémoire pour l’histoire.

Une école de communication

Le vendredi 11 avril à 13 heures se tenait dans le grand atelier de peinture, centre névralgique de la grève, la première assemblée générale d’information, après la reprise collective et organisée du travail le 9 avril.

L’expression centre névralgique n’est pas utilisée à la légère. En effet, dans l’atelier de peinture, se déroulaient les assemblées générales des grévistes. Elles donnaient lieu à des débats, à des décisions, à des mandats, à un partage des tâches, à un contrôle sur les décisions et les mandats. Autrement dit, à une démocratie vivante et effective. En outre, à midi, l’atelier de peinture était ouvert à la population qui venait y manger. La cuisine était organisée par les grévistes avec quelques appuis.

Dans la mezzanine se trouvait le «centre administratif» de la grève. L’aide financière était systématiquement enregistrée et soumise à contrôle. Les résultats étaient communiqués quotidiennement. Les sommes réunies dépassaient, le 11 avril, 1,5 million de francs. Ce soutien financier traduisait l’appui donné aux grévistes, que ce soit par des salariés, par des collectivités publiques, des organisations, etc.

De là partaient aussi quelque 6000 mails et plus de 5500 SMS, afin d’informer le plus grand nombre de personnes directement. Et, si nécessaire, de les mobiliser, comme cela fut fait pour la manifestation du dimanche 30 mars, convoquée le samedi 29 à 14 heures.

Les grévistes et leur comité ont su imposer leur communication et ne pas dépendre, passivement, des médias, comme le font quelques politiciens et syndicalistes, pour qui une photo et la pipolisation semblent être le nec plus ultra de la «communication» politique.

L’atelier de peinture servait aussi de lieu où des collégiens, des écoliers prenaient connaissance, en quelque sorte, d’un événement exceptionnel en Suisse: une grève avec occupation durant un mois. Cela revêt une grande importance dans la transmission générationnelle d’une expérience d’affron­tement syndical, social et politique. Car affrontement, dur, il y avait. Et les grévistes ont – sur la base de revendications simples et compréhensibles: retirer le plan de restructuration du 6 mars et donner de vraies garanties – su con­traindre la direction des CFF à changer. Ce ne sont pas eux qui se sont adaptés à ce que voulait la direction des CFF et le Conseil fédéral. En maintenant avec calme et détermination leur orientation, ils ont fait bouger les lignes. Cela n’a été possible que grâce à l’unité, à la détermination et à la compréhension, chaque jour accrue, de l’ensemble des enjeux que cette lutte révélait peu à peu.

Une démocratique méfiance

Revenons à l’assemblée du vendredi 11 avril. Le comité de grève, sur un podium peu élevé, présente la situation. Gianni Frizzo introduit l’assemblée qui se déroulera de 13h à 15h. Dès le début, il attire l’attention de tous les participants sur le fait que la bataille est loin d’être terminée. «La rentrée triomphale le mercredi 9 avril, avec la reprise du travail qui s’ensuit, ne doit pas nous rendre aveugles sur les difficultés auxquelles nous faisons face dès maintenant. Reprendre le travail est difficile. La grève laisse des traces. Il y a de la fatigue. La remise en marche peut être l’occasion de tensions dans les ateliers, car ce n’est pas simple de redémarrer après un mois. Il faut absolument que tous les problèmes sortent et qu’un contact permanent soit établi entre les ateliers, des délégués et le comité de grève qui, comme cela a été décidé le 8 avril, a la fonction maintenant de commission du personnel.» Puis Gianni Frizzo insiste: «Nous voulons non seulement que toutes les locomotives et tous les wagons restent à Bellinzone pour leur réparation, maintenance, etc. Mais nous voulons aussi, dans une prochaine phase, que les Officine se développent et donc que des investissements y soient faits.»

Il met de même en garde contre une possible opération qui pourrait prendre forme sous la houlette du directeur Roland Kuster. Ce dernier semble vouloir jouer les aiguilleurs pour dévier la maintenance de matériel sur d’autres voies que celles des Officine. Autrement dit, étrangler les Officine et renforcer la thématique de la surcapacité.

Pour renforcer la cohésion et l’attitude de tous les travailleurs, est lue la lettre envoyée le 10 avril par Roland Kuster, directeur, Luca Bernas­coni, vice-directeur, et Dora Frehner-Forte, responsable des ressources humaines, absente durant le mois de grève. La lettre est intitulée: «Retour au travail après 32 jours de grève». Elle commence ainsi: «Ces semaines de lutte ont été dures, pleines de signification et émotionnellement très difficiles. Nous avons beaucoup appris.»

Après la lecture de cette première phrase, il n’était pas compliqué de saisir que la direction n’avait pas beaucoup appris. Le comité de grève à dès lors proposé, après discussion, que cette lettre soit considérée par l’ensemble des travailleurs comme nulle et non avenue. Cela fut confirmé par un vote unanime.

Pour le comité de grève comme pour les 400 travailleurs présents, le retour au travail ne pouvait pas impliquer de baisser les bras. Ils continuaient à imposer leur timing, leur agenda, leurs revendications, tout en remettant les Officine en ordre et en faisant la preuve de leur haute capacité de production, de réparation, d’entretien, tout cela fruit d’un travail collectif dans lequel fusionne un ensemble complexe de savoirs.

Comprendre est nécessaire

Remettre en marche l’entre­prise impliquait aussi de «nettoyer» l’atelier de peinture. Cela fut discuté.

Deux décisions ont été adoptées. La première: maintenir les salopettes au mur (voir photo p.1) car elles symbolisent les licenciements voulus le 6 mars par la direction de CFF Cargo, le travail accompli jusqu’alors et le travail qui doit continuer. Comme il en manque quelques paires, demande est faite d’en donner quatre ou cinq. Applaudis­sement général.

La seconde: transmettre à un fonds spécial des Archives de la ville l’ensemble du matériel et des photos. Celles et ceux qui n’ont pas encore été pris en photo – photos épinglées sur un mur – sont priés de le faire. C’est la forme concrète de démontrer que «tous sont ensemble, hier, aujourd’hui et demain».

Dans le cours de l’assem­blée, Pino Sergi informe sur les tentatives qui commencent à poindre, dans la presse, de rachat de CFF Cargo à une échéance non précisée, mais manifestement une fois la restructuration faite. La discussion est ouverte et il est clairement indiqué que les négociations doivent s’ouvrir en toute transparence. Dès lors, deux questions sont posées suite à l’intervention de Pino Sergi. La première: les négociations commenceront une fois que la délégation des ouvriers accompagnés de syndicalistes sera informée sur les intentions de la direction des CFF et de CFF Cargo quant à la propriété à venir de cette filiale des CFF.

La seconde: information devra être donnée sur les contacts ne cours ou à venir, à l’échelle internationale, avec d’autres groupes, tels que la SNCF ou Deutsche Bahn.

La discussion qui s’ensuivit a fait la démonstration qu’une saine méfiance existait, ou, plus exactement, que les leçons d’une démocratie appliquée durant un mois avaient été assimilées.

Werner Carobbio, un militant historique du Parti socialiste autonome (PSA), puis du PS tessinois, qui tient une colonne régulière dans le bimensuel Solidarietà, avait donné des informations sur l’attitude du Conseil d’Etat, sur la nomination plus que probable – et confirmée – du radical Franz Steinegger comme médiateur dans le cadre de la future table ronde. A ce propos, il sera intéressant de voir comment Peter Bodenmann, qui tient conjointement à Steinegger une colonne chaque semaine dans le Blick, va réagir à l’attitude de Steinegger.

Werner Carobbio, très estimé par les travailleurs pour sa présence permanente à leurs côtés – alors que Vasco Pedrina n’a pas mis les pieds à Bellinzone durant toute la lutte –, a aussi indiqué le rôle d’une commission d’experts qui sera à la disposition des travailleurs et qui sera financée par le Conseil d’Etat. Christian Marazzi, économiste, présidera cette commission. Le débat se centre à ce propos sur une question: « nous devons savoir utiliser cette commission; elle ne peut pas s’imposer à nous ». Ce qui ne risque pas d’être le cas lorsqu’on connaît, d’une part l’intégrité et l’enga­gement de Christian Marazzi, et d’autre part le sérieux et la minutie militante des membres du comité de grève.

Etre membre d’un travailleur collectif

A la fin des débats, un membre du comité de grève, un technicien, est intervenu d’une façon qui a émotionné l’ensemble de l’assemblée. Il a raconté qu’il participait à un cours pour cadres, sur le thème de «la gestion des conflits»! Lors d’un de ces cours – qui se tenaient au moment de la grève –, il a été attaqué par d’autres participants qui lui ont reproché de porter le badge «Bas les pattes des Officine». Après le premier choc, il a répondu à ceux qui le critiquaient qu’il était fier d’avoir ce badge.

Il termina son intervention ainsi: «J’ai alors compris que ma loyauté allait à vous tous, ceux avec qui j’ai conduit cette lutte. Ma loyauté n’ira pas vers ces cadres.» C’était sous une forme très concrète une expression du ralliement à la classe des travailleurs de la part d’un cadre, dont toutes les directions d’entreprise visent à les séparer de leurs «subordonnés» et à faire disparaître de leur tête la donnée concrète qu’ils font partie d’un travailleur collectif.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire et à analyser. Ce sera fait dans le Cahier La brèche.

(25 avril 2008)

 
         
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