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Un accord mité

André Duret et Andreas Teufel

Une mobilisation vraie. Un patronat décidé. Une direction syndicale voulant sauver sa mise.

Le lundi 14 avril 2008, l’ex-directeur du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), Jean-Luc Nordmann, «brandit fièrement un document de 110 pages reliées dans une fourre bleue» (Le Temps, 15 avril). La légende de la photo: «Une date symbolique.»

A la droite du médiateur auréolé, Werner Messmer laisse transparaître, avec retenue, une quasi-béatitude. Le 10 avril 2008, le Tages-Anzeiger con­sacre à cet entrepreneur une page entière titrée: «Un dévot coriace goûte le combat rapproché». Ce titre fait référence à ce «fondamentaliste chrétien» qui préside depuis cinq ans la Société suisse des entrepreneurs (SSE) et est conseiller national radical-libéral de Thurgovie.

Sur la gauche de l’entremetteur nommé par Doris Leuthard, Andreas Rieger, coprésident d’UNIA. Il a goûté l’ambiance du petit séminaire et montre une figure de méditatif comblé. Comme le promet J.-L. Nordmann: «Le conflit dans la construction est terminé.»

Pour reprendre une formule financière: le tour de table est complet, les capitaux sont réunis. Les empêcheurs de tourner en rond n’ont donc pas leur place dans cette réconciliation. Ni à la «Conférence professionnelle» du samedi 26 avril d’UNIA. Ni même lors de l’assemblée de la SSE le mardi 29 avril. Ses membres seront plus alignés parce que plus satisfaits que ce 24 janvier 2008, lorsqu’ils avaient «refusé de manière irresponsable la nouvelle convention collective de travail», selon les termes du communiqué d’UNIA et de Syna. Donc, en cette fin d’avril, tout le monde sera responsable. De quoi? Ce n’est pas clair.

Flash-back

En automne 2007, en Suisse romande – en particulier à Genève – et au Tessin, les mobilisations ont été assez fortes. Elles traduisaient une aspiration réelle des travailleurs de la branche principale de la construction à défendre leurs salaires et améliorer leurs conditions de travail.

En mars 2008, la reprise de la mobilisation confirmait la disponibilité des travailleurs à la lutte. Cela a donc débouché, assez vite, sur une multiplication d’accords cantonaux ou régionaux. Ils laisseront des traces.

La convention nationale (CN) signée le 14 avril 2008 ne va pas effacer les traces de cet épisode. Le patronat a pu tester comment les mites cantonales peuvent attaquer le tissu d’une convention nationale. Il retiendra cette leçon. Il a pu mesurer la force d’attraction des avantages matériels (diverses contributions financières) retirés par des appareils syndicaux cantonaux, malgré les déclarations initiales du «parlement des maçons», le 26 janvier 2008, de refuser des accords cantonaux. Ces appareils syndicaux disposent pour eux, souvent, d’avantages plus rondelets liés à des accords cantonaux, comparativement à ceux répartis par la convention nationale; cela pour un temps encore limité. Cette diversité dans les situations contractuelles cantonales est le produit soit de rapports de force anciens, soit d’une capacité passée et présente de mobilisation ainsi que d’un travail sur le long terme, comme UNIA Tessin le symbolise.

Après le choc du rejet patronal de janvier 2008, une liste de jours «J» de mobilisations cantonales a été établie pour le mois de mars. Il s’agissait de faire converger dans un lieu les fonctionnaires du syndicat, afin d’organiser manifestations et débrayages. Plus le jour «J» approche, plus les accords cantonaux tombent dans le panier: de Genève au Valais, de Vaud à Neuchâtel, du Tessin au Jura.

Le scénario peut être résumé ainsi: un tract de mobilisation est distribué, un certain travail de préparation est effectué, puis tombe un nouveau tract tirant le frein. Après le SMS reçu, les permanents distribuent un tract du genre: «Tous ensemble nous avons gagné!» Con­crètement, sous des formes diverses, cela signifie: la «réintroduction immédiate de la CN 2006» (dénoncée unilatéralement par la SSE en 2007) pour une région donnée, avec parfois des compléments d’accords partiels cantonaux, et des «augmentations salariales», dont une partie est individualisée. Le tableau n’est pas homogène.

Parallèlement est relancée la négociation nationale qui aboutira à l’accord qui sera présenté, unanimement, comme l’assurance d’un retour à l’helvétique «paix du travail». Néanmoins, dix jours avant, le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation de quatre responsables syndicaux – parmi lesquels l’ex-coprésident d’UNIA Vasco Pedrina et l’actuel responsable de la mobilisation dans le secteur de la construction, Hans Ulrich Scheidegger – pour avoir bloqué le tunnel autoroutier du Barregg en 2002. Un blocage d’une heure vingt qui a provoqué un bouchon de 10 km, comme un accident le vendredi soir ou une rentrée d’un week-end pascal. La Neue Zürcher Zeitung du 4 avril 2008 n’a pas manqué de titrer: «Le blocage du Barregg était une contrainte»… contre le droit à la libre circulation! Le juriste du Temps, Denis Masmejan, a titré son article: «Droit de grève: Vasco Pedrina condamné». Il serait naïf de séparer ces deux événements. A coup sûr, Messmer n’a pas cette ingénuité.

Messmer a aussi remarqué que le 12 mars, à Bâle, la mobilisation a été plus forte qu’anticipée par la direction d’UNIA, mais elle était toutefois limitée. Le nombre de secrétaires ayant l’expérience de l’organisation d’un débrayage et de «remplir des bus» décroît à l’avantage de ceux et celles qui «font des membres».

A Zurich, les 8 et 9 avril, le bilan est mitigé. Trois «Betonwerke» (centrales de fabrication de béton frais) sont bloquées. Il est plus facile de bloquer que de faire débrayer et d’engager les travailleurs dans une manifestation. Le rassemblement, le 8 avril, devant le bâtiment de l’association des entrepreneurs zurichois ne suscite aucune réaction de leur part. Ils ne veulent pas d’un accord cantonal. Ils ne veulent pas succomber à l’effet domino: après Zurich, il y aurait Bâle et Berne. Ce n’est pas le choix de la SSE pour la Suisse alémanique. Elle connaît le nombre des travailleurs syndicalement organisés du secteur principal de la construction à Zurich (1997) et à Winterthour (976). Par comparaison, la section Bellinzona-Biasca e Moesa en compte 2 376; et celle de Massagno-Sotoceneri 2 122. Le 9 avril, la démonstration faite devant le bâtiment de la SSE est plus consistante, grâce à l’apport des «cheminots tessinois». Cela ne trompe pas les observateurs patronaux et de la NZZ.

La barre est alors élevée d’un cran par la SSE. Depuis 2007, elle a choisi le timing et le rythme, ce qui est un élément clé dans un affrontement de ce type. Face au refus patronal, la direction syndicale d’UNIA, dont les sections romandes et tessinoises ont déjà signé des accords, devrait mener des grèves plus longues, plus dures, les élargir dans les régions périphériques.

L’Euro 2008 approche, il commencera le 7 juin. Les principales villes suisses alémaniques seront quadrillées par la police. Même si «l’opinion publique» a manifesté une attitude de compréhension, et même de sympathie, jusqu’à maintenant, va-t-elle accepter que la messe sportive soit perturbée?

Quant à l’appareil syndical, il est «fatigué». Et l’unité dans la mobilisation parmi les travailleurs de la cons­truction risque d’être ébréchée par les élans en faveur de leur équipe nationale. Maîtriser un tel agenda dans un tel contexte ne peut que pousser à trouver un accord. Nordmann le savait. Messmer l’avait anticipé. Rieger le subissait. La messe était dite, et le culte aussi. Les deux signataires s’y connaissent en la matière.

Un accord «pour experts»

Dès le début du conflit, le thème au centre des préoccupations patronales était celui de la flexibilité et du temps de travail. Les délais imposés pour terminer des travaux, le système de sous-traitance, la possibilité d’user et d’abuser d’une main-d’œuvre flottante et précarisée faisaient d’un temps de travail flexibilisé et de son intensité (productivité apparente) un objectif non négociable dans sa substance. L’accord pouvait être trouvé sur la forme, pas sur la substance. C’est le cas.

L’articulation entre les calendriers de travail sur un an (heures travaillées durant 50 jours – 7h50 –, puis durant 105 jours – 8h00 –, puis durant 69 jours – 9h00 –, etc.) et la possibilité de modifier la durée de travail hebdomadaire dans le cadre de son annualisation offrent une grande marge de manœuvre aux patrons.

De plus, la complexité de l’accord en la matière est telle que cela rend très difficiles son contrôle et le calcul même du temps de travail effectif. Sans même mentionner qu’il faut oser exiger cela lorsque la présence syndicale, sur le terrain, est loin d’être assurée.

D’ailleurs, dans l’accord protocolaire «Durée de travail», il est affirmé au chapitre 6: «Les parties chargent la Commission paritaire suisse d’application de constituer une commission spéciale incluant des praticiens, laquelle examinera toutes les questions relatives à l’interprétation et à l’application des articles 24 à 28 de la CN 2008 [ce sont tous les articles portant sur le temps de travail et la durée du travail]. Cette commission présentera aux parties contractantes, pour la première fois à la fin de 2009, un rapport sur les questions et les problèmes traités, ainsi que d’éven­tuelles propositions de modification des réglementations sur la durée du travail.»

Autant dire que la SSE peut déjà siffler la mi-temps en 2009. Elle aura eu le temps, depuis 2007, de mettre à profit les changements, déjà en cours, dans la composition de la main-d’œuvre. Pour faire exemple: un travailleur portugais payé 5 000 francs est licencié et remplacé par un nouveau, au salaire inférieur de 1000 francs.

On retrouve dans l’accord la complexité et le flou qui sont une constante des lois sociales ou du travail en Suisse. Leur illisibilité pour des travailleurs est manifeste. Il faut des «experts». Cela équivaut à une véritable dénégation des droits démocratiques élémentaires.

Pour le bien-être de l’appareil syndical, l’accord Parifonds – qui implique une contribution de 0,02 % pour l’employeur et 0,42 % pour les travailleurs – entre en vigueur le 1er juillet 2008. Ouf! Le fonds patronal de formation est aussi maintenu.

Néanmoins, la durée de la CN 2008 est conditionnée à des accords futurs, dans quelque deux ans, sur le Parifonds. Le regroupement des deux fonds susmentionnés devra même être examiné. Le patronat tient le couteau par le manche pour trancher dans les finances syndicales. De quoi calmer les ardeurs syndicales sur la question du temps de travail et, demain, sur les conditions d’application desdites mesures d’accom­pagnement dans le cadre des accords bilatéraux avec l’Union européenne élargie.

Nous examinerons, dans le prochain article, la conception néomanagériale de la réorganisation interne d’UNIA. Et les fondements possibles favorables à un autre syndicalisme, à partir de la physiologie renouvelée de cette fraction de la classe ouvrière engagée dans le secteur de la construction, du gros œuvre comme du second œuvre.

(25 avril 2008)

 
         
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