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Edito
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La faim du monde

Charles-André Udry

La crise dite financière, qui n’est que la forme visible d’une crise du système capitaliste international, attire tous les regards. Nous avons déjà traité ce sujet (voir «Une crise du capitalisme des temps présents», 25 février 2008). Nous y reviendrons dans l’édition de mai, en traitant sa dimension «helvético-internationalisée».

Pour l’heure nous voudrions éclairer quelques aspects cruciaux de la «crise alimentaire» mondiale. Rappelons que la faim est la forme la plus aiguë de la pauvreté. Et la pauvreté est la cause fondamentale de cette situation alimentaire qui prévaut sur une grande partie de la planète. Les soulèvements de la faim dans plus de 11 pays, déjà, fournissent la preuve – on ne peut plus terrifiante – de l’insupportable. Selon les critères même de la Banque mondiale (BM), avec moins 4,70 CHF par jour – alors que les prix de l’alimentation tendent à se mondialiser et grimpent en flèche depuis plus de 12 mois – les personnes sont contraintes de se priver de nourriture.

Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et la BM, 3 milliards de personnes sont contraintes de vivre avec moins de 3 CHF par jour. En dessous de ce seuil, c’est le désastre. De 1,2 à 1,5 milliard d’être humains sont condamnés à vivre avec 1,60 CHF par jour. Donc, les privations sont déchirantes: la malnutrition, l’insuffisance alimentaire, les carences en micronutriments (vitamines, carotène, iode, fer) et en macronutriments (sucres, graisse, protéines) font exploser les maladies. Malnutrition et sous-alimentation se conjuguent. En période de soudure (entre deux récoltes), qui peut atteindre plus de 6 mois, la famine fait son apparition. La mort alors fauche.

Le nombre de personnes souffrant de la faim a passé, officiellement, de 815 à 852 millions entre 1994 et 2004. Ces chiffres sont fournis avec une moindre rapidité que ceux ayant trait aux «pertes» financières des grandes banques. A ce calcul macabre, il faut ajouter les personnes mortes de faim: 90 millions pour la même période. Enfin, si l’on ose utiliser cette formule, quelque 10 millions de gens vivant dans les pays développés ont «vraiment» faim.

La majorité des personnes – à hauteur de 75 % – qui ont faim sont des consommateurs-producteurs de produits agricoles et de nourriture, dans divers continents: Afrique (y compris le «pourtour méditerranéen»), Asie et Amérique latine. Les paysans paupérisés, travaillant manuellement, figurent au premier rang. Et ceux condamnés à l’exode, à cause de la faim et de la pauvreté, complètent le «tableau»: les bidonvilles les «accueillent». L’image de la faim provoquée par les seules «guerres ethniques» est réductrice. Sa fonction bien-pensante est manifeste.

Premier «problème»: le système capitaliste agricole mondial – avec la place de relief qui y occupent l’agrobusiness, les traders de biens alimentaires, les superpuissants propriétaires fonciers, les producteurs d’intrants (Syngenta, Monsanto) et de gros matériels agricoles (John Deere, Massey Ferguson, Fendt), ainsi que les politiques européennes et étasuniennes de subvention à l’agriculture «productiviste» – fabrique chaque année des dizaines de millions d’affamés.

Cette agriculture capitalisée (à énormes investissements) marginalise les paysans pauvres, sans terre ou ne possédant qu’un demi-hectare à cultiver. Or, dans l’agriculture mondiale, ces paysans paupérisés sont, en nombre, la majorité. C’est le cas en Amérique latine, en Afrique du Sud ou au Zimbabwe; en Inde, aux Philippines, en Indonésie Cela devient, pas à pas, la réalité en Chine et au Vietnam.

Le «libre-échange» et la «libre circulation» des capitaux n’ont fait que renforcer l’emprise de ceux qui ont la haute main sur la fraction la plus productive des terres; avec en outre l’aide de subventions étatiques directes et indirectes. L’inégalité de développement et l’échange inégal (entre produits agricoles et produits manufacturiers) n’ont fait que s’exacerber.

L’aide alimentaire – importante dans certains cas d’urgence – ne représente que le 1 % de la production agricole mondiale. Mal utilisée, elle casse la production locale. Et le marché ne répond qu’à la demande solvable: si elle est inférieure de 25 % aux besoins, la production ne sera pas disponible dans ces «zones sociales». Une sous-production effective existe donc, ce qui n’est pas compris par beaucoup d’«humanitaires».

Pour terminer: le dégonflement de la bulle immobilière a fait exploser une nouvelle bulle spéculative dans le secteur des aliments: selon les produits, la hausse ainsi provoquée atteint 30 à 40 %.

La «crise alimentaire» expose un des vrais visages du capitalisme mondial, d’où la multiplication de discours «humanitaires», à visée de «distraction de masse».

(25 avril 2008)

 
         
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