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Un syndicat de DRH

Jean-Marie Gerber

Postiers: chaque minute est scannée; la direction syndicale, elle, co-scanne

Depuis le 1er janvier 2008, plus d’un lecteur et d’une lectrice l’aura, peut-être, remarqué: les postiers utilisent un scanner au moyen duquel ils doivent introduire les heures auxquelles débute et s’achève leur journée de travail. Les pauses et arrêts de travail doivent aussi être indiqués. Ainsi, les journées de travail à horaires fixes disparaissent au profit d’un total annuel 1.

Une routine syndicale aveugle, donc complice

La réorganisation profonde du travail dans la firme La Poste n’a pas suscité des conflits, du moins pour l’heure. Pourquoi? Parce que l’on constate une absence quasi-totale d’oppo­sition des deux syndicats: Transfair et le Syndicat de la communication. Les organisations syndicales ont été cooptées. Leurs structures se sont longtemps superposées à la hiérarchie des PTT puis de La Poste. En ce sens, il n’est pas faux de les qualifier «d’annexes des ressources humaines». Un article de Jean-Marc Baume, membre du Syndicat de la communication et président du groupe de travail «Mail» (commission syndicale chargée de suivre l’évolution de l’unité d’affaire PostMail), révèle l’acceptation active de cette fonction.

Sous le titre «Le scanner a des péchés de jeunesse? Mais pas toi!», l’article indique que beaucoup de postiers qualifiaient l’ancien mode de calcul du temps de travail comme étant injuste. Même, ils pensent s’être fait avoir. Pourtant, écrit-il, ce n’est pas une raison pour «se venger avec le scanner». Le syndicat, selon lui, a «toujours revendiqué un calcul juste du temps de travail et avec le scannage nous y sommes arrivés».

Avec l’annualisation du temps de travail: «tu [le postier] scannes quand tu commences ton travail, tu exécutes ton travail normalement sans courir, ni traîner» puis il précise: «tu scannes fin de travail. Tu as la possibilité de faire la pause au bureau ou en tournée». Jean-Marc Baume précise: «Tu as aussi la possibilité de faire des arrêts de travail dûment scannés pour autant que tu respectes l’offre de prestation.» La règle stipule que la distribution quotidienne de courrier doit s’achever avant 12h30.

Dans la réalité – ignorée ou feinte d’être ignorée – les postiers sont «invités» à scanner «fin de travail» lorsqu’ils sont «inactifs». Par exemple, lors d’une arrivée tardive du courrier. Cette mesure n’est pas encore imposée dans le règlement. Toutefois, une pression quotidienne va dans ce sens. Elle se matérialise de la façon suivante: l’arrivée en retard de courrier, pour reprendre l’exemple, oblige le facteur à attendre avant de poursuivre son travail. Que se passe-t-il s’il a terminé son tri? Il va prendre sa pause en attendant l’arrivée du courrier, «matière première» de son activité. Cela revient, de facto, à chasser les temps «morts» dans le calcul du travail effectif. Dans un même mouvement, le scanner exécute un arrêt de travail durant lequel on pouvait reprendre sa respiration. Ce n’est que lorsque le facteur travaille à «plein régime» que son temps de travail est jugé «productif», selon l’intitulé même de la rubrique qu’il doit scanner.

Tout cela a peu à voir avec «la possibilité de faire des arrêts de travail dûment scannés pour autant que tu respectes l’offre de prestation», pour citer «notre» responsable syndical, qui n’hésite pas à qualifier le système de calcul de temps de travail de «modèle idéal».

Attention à ne pas tricher!

Quand un «syndicaliste» adhère de manière participative à la réorganisation du travail de ses collègues, il doit, parfois, hausser le ton: «ATTENTION DANGER! STP… ne triche pas! Certains collègues n’en font qu’à leur tête! Ils s’organisent pour arriver chaque jour à leur horaire précis et ce, quelle que soit la quantité de courrier à distribuer. Par conséquent, certains jours, ils doivent traîner les pieds et d’autres jours se dépêcher exagérément pour obtenir le nombre d’heures quotidien fixé par leur taux d’occupation. Avec l’annuali­sation du temps de travail, cette manière d’agir est stupide et pénalise le personnel qui travaille correctement.»

Ainsi est évacuée la question centrale: celle de l’organi­sation du travail imposée à toutes et tous par la direction de PostMail. Mieux, la quotidienneté du travail est mise sur la tête. Chaque postier devrait être responsable de ses actes «individualisés» de travail, indépendamment des conditions collectives contraignantes imposées à tous. L’œuvre d’atomisation des salarié·e·s organisée par la direction de La Poste est passée par pertes et profits, au profit de la firme.

Et l’autre facette de la participation, la menace, est avalisée par Jean-Marc Baume: «La Poste, en l’occurrence PostMail, peut après un entretien et un, voire deux avertissements, résilier les rapports de services du collègue incriminé pour fraude de scannage. Le licenciement devient ensuite inévitable. […] La loi sur la durée du travail stipule que: chaque collaborateur est personnellement responsable de la saisie correcte du temps de travail. La violation des dispositions concernant l’enregi­strement du temps de travail est un principe comme un manquement aux obligations contractuelles. En conséquence, celui qui viole la loi sur la durée du travail s’expose à un licenciement pur et simple selon l’article No 220 de la CCT Poste 2. […] Te voilà averti, il est de ton devoir d’être responsable du contrat de travail que tu as signé avec La Poste si tu veux maintenir ta place de travail.»

La «collaboration» et la «cooptation» des structures syndicales ont leurs logiques, indépendantes des mérites de la personnalité d’un syndicaliste engagé dans cette voie. Cette logique peut être résumée ainsi: il exprime une préoccupation pour les «intérêts légitimes de la Poste» et oublie les «intérêts légitimes» des travailleurs de La Poste. Ainsi, ce responsable syndical considère comme une atteinte aux intérêts de l’entreprise la perte de quelques minutes due à ce qu’il appelle de la triche, autrement dit de la malhonnêteté. Ces «quelques minutes» perdues doivent être mesurées à l’aune de quelque 2 000 heures effectives d’un travail de plus en plus dur.

Instinctivement, plus d’un postier ressent cette perversion du rôle du syndicat. Soit ils le considèrent comme inexistant, soit ils manifestent à son égard frustration et mécontentement, réactions au travers desquels s’exprime un besoin de syndicalisme, à ne pas confondre avec le besoin de ces syndicats réellement (in)existants.

Désamorcer la solidarité

La fonction de tels articles – au-delà de leur efficacité limitée en tant que telle – participe d’un discours partagé entre la direction et les syndicats. Un discours qui se prolonge par des mises en condition, des réunions, des cours, des stages.

Pour l’essentiel, il s’agit de tenter d’extraire chaque postier de ses conditions concrètes de travail. Et cela pour éviter que l’entraide nécessaire à l’accom­plissement quotidien des tâches puisse déboucher sur une solidarité collective des postiers pour refuser l’insupportable.

Les deux volets complémentaires du discours de la direction et du syndicat débouchent aussi, conjointement, sur la menace. La vieille histoire du bâton et de la carotte.

Dès lors, il n’est guère étonnant que les jeunes postiers, hommes et femmes, sans expérience ou venant de secteurs précarisés aient une réaction que l’on peut résumer ainsi: «Pourquoi me syndiquerai-je? La protection juridique de la Coop coûte moins cher que la cotisation syndicale.» En d’autres termes, l’orientation de l’appareil syndical les confirment dans une attitude de consommateur qui calcule quelle est la meilleure offre pour le téléphone mobile.

Au profit de qui?

L’annualisation du temps de travail et la mise en œuvre du projet move it! (nom sous lequel s’opèrent les restructurations dans l’unité PostMail) suscitent de nouvelles divisions au sein des anciens collectifs de travail, déstabilisés depuis longtemps. La multiplication des statuts exacerbe la mise en concurrence. Le soupçon s’accroît lorsqu’un collègue est malade: en effet, lorsque l’on travaille en sous-effectif, l’absence d’un postier crée des tensions qui peuvent aisément trouver leur expression dans le dénigrement d’un collègue, entre autres s’il est âgé et si les «nouveaux arrivés» n’ont pas encore compris ce qui les attend.

En accompagnant et coachant ladite modernisation compétitive de La Poste, les syndicats perdent pied. Un terrain s’ouvre pour une action syndicale. Nous y reviendrons. Pour l’heure, nous désignerons les principaux changements auxquels les appareils syndicaux participent. Pour mémoire, le Syndicat de la Communication est présent par Jean-Marc Eggenberger dans le conseil d’administration de La Poste. Ce n’est pas anecdotique. Le syndicat s’est donc engagé dans la commercialisation de La Poste pour en faire une entreprise plus profitable, avec une privatisation à l’échéance. Les deux principaux axes de réorganisation sont les suivants.

1º Le passage du statut d’usager à celui de client, qui implique la substitution de principes visant à assurer la réalisation de besoins sociaux par la marchandisation de ceux-ci. Les services postaux se développent en direction des secteurs rentables, dont la solvabilité des clients est élevée, négligeant de plus en plus les services destinés à l’ensemble de la population, particulièrement la partie dont les revenus sont «modestes», pour utiliser un langage fédéral.

2º La transformation de La Poste en une entreprise dont toutes les composantes doivent générer du profit, ce qui implique une transformation radicale des conditions et du contenu du travail.

L’ensemble des transformations qui se sont faites dans le sillage de ces deux axes n’ont donné lieu à aucune explication réelle de la part des syndicats à l’ensemble des salariés·e·s. Les directions syndicales pouvaient difficilement coparticiper au «nouvel ordre postal» – qui est d’ailleurs européen – et en expliquer les origines et les mécanismes aux travailleuses et travailleurs. De fait, cela traduit le mépris que les dirigeants ont pour l’intelligence des sala­riés·e·s et la nécessité qu’ils ont de théoriser «l’apathie» des postiers, ne manquant pas, lors d’un 1er mai, de critiquer le «manque de réaction». Christian Levrat est un docteur en la matière, lui qui n’a cessé d’ordonner la prise de calmants aux postiers, tout en faisant quelques déclarations qu’une presse condescendante qualifiait de tonitruantes. Maintenant, il a d’autres soucis: sa carrière politique. De nombreux postiers commencent à ouvrir les yeux. Ce sera le thème d’un prochain article.

1. Sur l’ensemble des transformations de l’organisation du travail, les lecteurs et lectrices peuvent se rapporter aux articles parus dans La brèche depuis avril 2007. Ils sont disponibles sur le site www.labreche.ch.

2. Cet article 220 intitulé «Devoir de diligence et devoir de fidélité», dans le chapitre «Droits et obligations», dispose: «1. Le collaborateur/la collaboratrice a l’obligation d’exécuter son travail avec soin et de sauvegarder fidèlement les intérêts légitimes de la Poste. 2. Le collaborateur/la collaboratrice est tenu(e) de traiter soigneusement les outils de travail mis à sa disposition par la Poste et de gérer en toute conscience les fonds qui lui sont confiés.» (CCT Poste, Rapports entre la Poste et le collaborateur/la collaboratrice, page 11)

 


Dumping et écrémage : la concurrence sur le marché postal européen

Voici un exemple de la tentative de bourrage de crâne de chaque postier effectué par la direction de La Poste.

Comment évoluent les marchés postaux libéralisés ? Qu’est-ce qui a changé pour les facteurs ?

Dans bon nombre de pays de l’Union européenne, comme la Suède et la Grande-Bretagne, les marchés postaux sont entièrement libéralisés – en d’autres termes, la concurrence prévaut dans tous les secteurs. Le quotidien des facteurs y a profondément changé. Ils on dû céder une partie de leurs activités à des collaborateurs de sociétés privés, qui travaillent généralement à l’heure, voire sont parfois rétribués au nombre de lettres distribuées, souvent pour un salaire inférieur. Les lettres sont réparties par circonscriptions dans les centres de tri puis confiées aux facteurs privés dans des structures sommaires, comme des entrepôts, des garages, voire à l’arrière de camions. Ces opérateurs privés réduisent encore leurs coûts en se concentrant sur les marchés les plus rentables (le courrier commercial) et les régions les plus faciles à desservir (p. ex. les grandes villes).

Sommes-nous prêts à nous confronter à de tels « collègues » ?

(25 avril 2008)

 
         
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