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Recherche désespérément fusion…

Daniel Savary

Quand les «fusions syndicales» servent à ne pas discuter d’une orientation. Et cela dans un contexte de crise générale et sectorielle.

Comme indiqué dans le précédent numéro de La brèche, le syndicat comedia est en difficulté. Cela se manifeste notamment, depuis plusieurs années, par des déficits qui l’obligent à puiser dans ses réserves pour assurer son fonctionnement. Dans une logique très managériale, la direction cherche une issue dans une fusion avec un autre syndicat. Elle peut ainsi offrir à l’appareil syndical et à une partie des membres une perspective d’apparence réaliste. En outre, elle évite toute remise en cause de l’orientation syndicale suivie. D’autres secteurs et d’autres syndicats ont connu ou vont connaître des processus analogues.

Du syndicat de branche…

Rappelons que comedia est lui-même issu d’un projet de regroupement de toutes les organisations de salarié·e·s de la branche des médias. Il n’a que partiellement abouti en 1998, dans la mesure où le SSM (Syndicat suisse des médias; médias électroniques, TV) est resté à l’écart et où seule une fraction des journalistes organisés s’y est ralliée. Cela est constitutif de la faiblesse du secteur «Presse» de comedia.

En 2004, à l’occasion de la fondation de l’unia actuel par la fusion du SIB (bâtiment), de la FTMH (métallurgie), de la FCTA et du premier unia (commerces tous deux), comedia annonce qu’elle ne s’y intégrera pas. Il ouvrira plutôt «des discussions avec les autres organisations de la branche, en particulier le SSM […] et Syndicom» (Syndicat de la communication, regroupant essentiellement des salarié·e·s de La Poste). Mais comedia n’a pas su – et/ou pas voulu – mener dans le secteur presse une politique lui permettant d’être un pôle d’attraction pour les salarié·e·s et pour les autres organisations. Ainsi, ni le SSM ni les journalistes de la presse écrite (association Impressum) ne sont revenus sur leur choix de 1998. La voie de la constitution d’un vrai syndicat de branche semble ainsi durablement bouchée; en tout cas par la voie «douce» de la fusion.

Quant à Syndicom, il était dans un premier temps occupé ailleurs, par un projet – qui semblait avoir une certaine logique – de regroupement avec le syndicat de l’autre ex-régie fédérale, le SEV (CFF et autres transports publics). L’échec de ce projet (retrait du SEV en 2007) rend le fiancé à nouveau disponible… Mais cela se fait de toute évidence au détriment de la perspective du syndicat de branche. La logi­que de l’union entre «les médias et la communication» célébrée par la direction de comedia fonctionne comme slogan, mais pour ce qui est de la pratique et du terrain, nombreux sont les syndiqué·e·s à ne pas voir, à juste titre, ce que cette opération apporterait.

… au «deuxième pôle»

L’aspect «syndicat de bran­che» une fois passé au second plan, sinon abandonné, apparaît une autre motivation: «Objectif 1: […] créer un deuxième pôle solide dans le secteur des services publics et privés» au sein de l’Union syndicale suisse, à côté d’unia. (Beat Jost m-magazine, N° 3, mars 2008). Pourquoi ce «deuxième pôle» ? Une justification «poétique» est donnée: «Il ne fait aucun doute qu’il vaut mieux marcher sur deux jambes que sur une seule». Aucune raison pratique n’est avancée; encore moins des motivations d’orientation syndicale. Ce serait d’ailleurs difficile, puisque celle de Syndicom comme – de plus en plus – celle de comedia se confondent avec celle d’unia. Ce sont en fait des préoccupations de pouvoir et de postes qui sont à l’œuvre; ce qui, par définition, est difficile à reconnaître ouvertement.

Ainsi, ce qui a trait au travail syndical de terrain est hors champ des discussions entre appareils. La «masse critique» du futur regroupement est un critère bien plus important. Il peut être atteint en intégrant un nouveau partenaire. Au début 2008, les discussions sont donc élargies au SSP (Syndicat des services publics).

Mais la structure du SSP et son champ d’intervention n’ont pas grand-chose à voir avec celle de Syndicom et encore moins avec celle de comedia. La direction de comedia, comme celle des deux autres syndicats, ne l’ignore pas: «La branche de l’imprimerie, disposant d’un contrat collectif national de travail ainsi que de nombreuses petites et grandes entreprises dans toute la Suisse, doit s’organiser différemment de la branche de La Poste, par exemple, qui a un employeur national. Il en va encore autrement pour le SSP où les conditions de travail sont négociées localement au niveau du canton et de la commune et passent parfois même par un Parlement.» (Roland Kreuzer, coprésident de comedia, m-magazine N° 3, mars 2008). Le besoin de croire et de faire croire dans la fusion est tel, que ces problèmes ainsi que les préoccupations de la base sont minimisés.

De l’optimisme managérial à l’échec

En février 2009, m-magazine (N° 2) souligne que: «Le groupe de travail voit un “énorme potentiel de croissance” dans le secteur santé-social. Des chances sont également identifiées notamment parmi les nouveaux prestataires de services postaux, logistiques et de télécommunication, dans la bran­che informatique et dans les centres d’appels, auprès des radios ou chaînes de télévision privées, parmi les rédactions en ligne, les prestataires Internet et les services de recherche, dans le secteur multimédias, dans l’industrie de la reliure et de l’emballage, ainsi que dans la branche du livre.»  La tonalité managériale du propos ressort: l’entreprise syndicale est à la recherche de nouveaux marchés porteurs. Les besoins et droits à défendre des salarié·e·s déjà organisés disparaissent du discours et des préoccupations.

Mais dans ce même numéro 2 de m-magazine, un autre article – titré «Fusion: pas de compromis boiteux !» – signale que «le projet de fusion, est encore loin d’être acquis. En effet, bien des obstacles restent à surmonter.» Ils vont vite se révéler insurmontables.

En mai 2009, m-magazine (N° 3) informe que «le comité de pilotage du projet de fusion de comedia, de Syndicom et du SSP a décidé le 13 mars de ne pas poursuivre le chantier du Nouveau Syndicat et d’en proposer l’abandon aux instances compétentes des trois syndicats». Et le 3 avril, le journal du SSP, Services publics, confirme que «la fusion est interrompue».

Quelles sont les raisons de cet échec ? «Les structures des employeurs à qui nous sommes confrontés font que le SSP, d’une part, et Syndicom/ comedia, d’autre part, requièrent une conduite du mouvement conçue différemment, une répartition spécifique des compétences et d’autres modèles de financement. Tandis que le SSP négocie les conditions de travail localement ou qu’il en débat au niveau politique, les partenaires sociaux de Syndicom sont majoritairement des entreprises nationales, comme les entreprises postales. Quant aux partenaires conventionnels et sociaux de comedia, il s’agit principalement d’organisations patronales actives au niveau national ou dans une région linguistique.» (m-magazine N° 3, mai 2009). Soit exactement les difficultés identifiées une année auparavant !

Les illusions longtemps entretenues ont fini par se fracasser contre un vrai récif: les cotisations des membres, dont le niveau et le mode de perception reflètent les différences de structures. C’est d’ailleurs le seul facteur explicatif que mentionne l’article de Services publics du 3 avril. L’âme, vraie, d’un certain syndicalisme est ainsi éclairée.

Nouvelles fiançailles

Brandissant à nouveau le drapeau de «la proximité thématique entre les médias et la communication», «Syndicom et comedia étudient désormais la solution d’une fusion à deux» (m-magazine N° 3, mai 2009). Combien de temps ce débat va-t-il servir de substitut à une perspective syndicale, avant d’aboutir: soit à une fusion qui ne permettra en rien de répondre à la principale faiblesse des syndicats, la présence dans les entreprises; soit au constat renouvelé que les différences sont trop grandes et les «synergies» pas assez fortes ? Resterait alors à réactiver le plan B, toujours gardé en réserve, d’une intégration dans Unia. Mais, une discussion ouverte, sans a priori, sur les faiblesses du syndicalisme et ses causes restera sous le boisseau. Essentiel, pour des micro-appareils.

 

CCT: approuvé massivement… par 19%

L’article publié dans la dernière Brèche a été bouclé avant que la votation générale portant sur l’approbation du nouveau Contrat collectif de travail (CCT) n’ait abouti. Le résultat est maintenant connu (voir tableau).

• Ce qui frappe, de suite, c’est le taux de participation: seuls 23,7% des syndiqué·e·s concernés se sont prononcés. Ainsi, le taux réel «d’approbation» du CCT se situe à 19%. Voilà l’expression d’un sentiment de résignation. En 2004, alors que le syndicat avait mené une réelle politique de mobilisation et avait rompu les négociations sur le CCT, une votation générale avait également été organisée, portant sur les seules mesures de lutte. Le taux de participation avait été de 42,1%. Malgré cela, la mobilisation de 2004 n’avait pu au final obtenir mieux que le maintien des acquis; cela ne fait que souligner la gravité de la situation actuelle.

• L’autre fait marquant qui ressort de la compa­raison entre 2004-2009 est la baisse du nombre de ceux qui avaient le droit de vote: de 9003 à 6647 (-26,2%). Ici, se cumulent le recul du taux de syndicalisation et la baisse des effectifs de la branche, avec comme conséquence un affaiblissement «objectif» des salarié·e·s: par leur vote en faveur des mesures de lutte, c’étaient en 2004 près de 3400 salarié·e·s qui avaient pris «l’engagement moral» de participer au mouvement; avec un même taux de participation et d’approbation, cet engagement n’aurait plus concerné aujourd’hui que 2500 salarié·e·s.

Pour la direction syndicale, seul le fait d’avoir fait passer sa position semble compter: m-magazine (N° 3, mars 2009) titre «La base dit OUI à 80%». Tout au plus, Hans-Peter Graf, secrétaire central, évoque-t-il le problème de l’abstention dans cette phrase alambiquée: «Ce taux d’abstention indique peut-être qu’une large majorité des travailleurs accepte le résultat du CCT. Mais il est certainement aussi le reflet de la situation difficile que traverse l’économie, et notre branche en particulier».

Rien à changer donc dans la politique syndicale. On peut notamment continuer à proclamer «incompréhensible» (m-magazine N° 3) le refus de la «déclaration de force obligatoire (DFO)» [1] par l’association patronale et tenter de faire croire aux salarié·e·s qu’inviter «une nouvelle fois Viscom à se prononcer pour la DFO du CCT avant son expiration et à en faire la demande au Conseil fédéral» aura un quelconque effet.

Reste que cette politique a conduit et va continuer à conduire à une baisse des effectifs du syndicat, les salarié·e·s découragé·e·s «votant avec leurs pieds». Pour la direction et l’appareil syndical, c’est la menace d’une baisse des cotisations, des ressources et des postes, que la poursuite obstinée d’un illusoire projet de fusion est censée éviter (voir ci-dessus) [2]. Pour les salarié·e·s de la branche, en revanche, pas d’échappatoire. La confrontation avec les patrons reste inscrite dans la réalité de tous les jours. Avec quel instrument ? Cette question doit être discutée, démocratiquement.

1. C’est-à-dire l’application du CCT à toutes les entreprises sur le territoire national. Le syndicat construit une opposition entre «bons patrons», membres de l’association patronale Viscom et soumis au CCT, et «mauvais», qui ne le sont pas, et pratiqueraient une politique de dumping. Dans cette réalité virtuelle, il est effectivement «incompréhensible» que les «bons» refusent de punir les «mauvais». Sauf que dans la réalité réelle, le dumping est aussi le fait de patrons soumis à la convention, qui sont nombreux à ne pas la respecter et n’ont donc aucun intérêt à la déclaration de force obligatoire et aux instruments de contrôle, même relatif, qui l’accompagnent (voir La brèche 1/2009).

2. Quant à celles et ceux qui n’y croient pas ou plus, il s’agit de quitter le bateau: le taux de rotation du personnel de comedia semble être en train de prendre l’ascenseur.

(27 juillet 2009)

 
         
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