labreche  

 

         
Mesures d'accompagnement à la libre circulation
homeR
 


Un référendum pour renforcer les droits de tous les salarié·e·s

La libre circulation doit s'accompagner d'un renforcement des droits de tous les travailleur·euses. Sinon, elle sert à organiser la mise en concurrence des salarié·e·s entre eux, terreau de la xénophobie. Un référendum est un levier pour ce combat.

D. Gygax, J.-F. Marquis, J. Varone

Le débat sur la libre circulation des personnes, à l'occasion de son extension aux ressortissant·e·s des nouveaux pays membres de l'Union européenne (UE), est de ceux qui, en Suisse, marquent durablement les représentations sociales et politiques de l'ensemble de la population. Il va occuper le devant de la scène ces prochains mois, parallèlement à la discussion sur les Bilatérales II (cf. p.2).

Le débat sur l'extension de la libre circulation et sur ses répercussions a lieu alors que le patronat et les gouvernements organisent à une échelle sans précédent la mise en concurrence des salarié·e·s entre eux. L'enjeu est un abaissement massif desdits «coûts du travail».

La position patronale est nette: un rejet de cet accord «serait fatal» (economiesuisse, 3 septembre 2004). Le Conseil fédéral est sur la même longueur d'onde. Il délègue à la ministre «socialiste» Micheline Calmy-Rey la tournée des congrès – d'UNIA au Parti socialiste suisse (PSS) – pour y débiter ses boniments: «L'extension de la libre circulation est importante pour la Suisse. La moitié de l'effet de croissance que l'élargissement de l'UE devrait avoir pour la Suisse découle de cette extension.» (Congrès PSS, 23 octobre 2004). Les responsables du mouvement syndical – à commencer par UNIA – implorent Conseil fédéral et Parlement: «Appuyez-nous [avec des mesures d'accompagnement], sinon nous ferons un malheur [lancer le référendum].» En permanence, le spectre de l'Union démocratique du centre (UDC) et de Christoph Blocher est agité: c'est une recette éprouvée pour disqualifier toute réponse syndicale et de gauche rompant avec cet unanimisme bien pensant.

Organiser la concurrence entre salariés

Ce débat sur l'extension de la libre circulation et sur ses répercussions sociales, économiques et politiques a lieu dans un contexte de mise en concurrence des salarié·e·s entre eux, organisée à une échelle sans précédent, notamment spatiale, par le patronat et les gouvernements. L'enjeu est un abaissement massif desdits «coûts du travail». C'est-à-dire une augmentation de la part de la richesse produite par les salarié·e·s que les propriétaires de capitaux s'approprient sous forme de profits. L'augmentation du temps de travail, son intensification, les attaques contre le salaire, la remise en cause des assurances sociales (qui constituent un salaire indirect), la généralisation des statuts précaires sont autant de formes que prend cet assaut.

Cette mise en concurrence des salarié·e·s entre eux prend une dimension internationale. Le dossier en page 6-7 de ce numéro de La brèche sur l'insertion de la Chine dans l'économie mondiale en illustre une facette cruciale. Elle est aussi une dimension clé du projet social et politique de l'Union européenne (UE) et des modalités de son élargissement (cf. La brèche No5: Union européenne: la constitution de ruines sociales»).

Patronats et gouvernements disposent d'une palette de leviers pour exacerber cette mise en concurrence des salarié·e·s entre eux. Le chômage permanent, depuis un quart de siècle, joue le rôle décisif. Il est alimenté par une course conjointe à la rentabilisation maximale du capital avec ses licenciements, ses contrats courts et des salarié·e·s poussés à «accepter l'inacceptable». La réorganisation à l'échelle internationale des chaînes de production se greffe sur cette réalité. Le chantage aux délocalisations doit faire plier l'échine. Des salariés·e·s contraint·e·s de migrer sont hyperprécarisés par une sélection institutionnelle qui devient une usine à sans-papier». La concurrence fiscale réduit les ressources en faveur du secteur social (cf. p.2).

Cette mise en concurrence se marie avec le délitement planifié de la protection des droits des salarié·e·s: droit du travail, conventions collectives de travail, assurances sociales. L'organisation syndicale et politique des salarié·e·s a été durement affaiblie (pour la Suisse, cf. le dossier de La brèche No5 sur UNIA). Cette désorganisation des dispositifs de défense du salariat a, à son tour, ouvert de nouveaux espaces pour pousser plus avant cette mise en concurrence.

«Importer des travailleurs à moitié prix»

Dans ce contexte, l'accord de libre-circulation conclu avec l'UE et son extension aux nouveaux adhérents est un instrument supplémentaire sur lequel compte le patronat helvétique pour accroître encore la pression sur les salarié·e·s, de toute nationalité, travaillant en Suisse.

Ce qui s'est passé depuis la mise en oeuvre de la 2ème phase de la libre-circulation, le 1er juin 2004 (cf. l'encadré «Quelques dates»), le montre: en trois mois, de juin à fin août, le nombre de salarié·e·s annoncé·e·s être venu·e·s travailler en Suisse pour une période de moins de trois mois a, selon les autorités, explosé: 39'000. Il s'agit en majorité de personnes avec des situations précarisées (travailleurs détachés, faux indépendants, etc.). Les cas constatés par les syndicats de salarié·e·s venus d'Allemagne, par exemple, et travaillant pour des salaires horaires nettement inférieurs aux normes conventionnelles (de Fr. 10.– voire davantage), se comptent en dizaines. Ce n'est, par définition, que la pointe de l'iceberg. «Une nouvelle mode d'importation: des travailleurs à moitié prix», titre le Sonntagsblick du 24 octobre 2004.

Le patronat et les autorités fédérales ne cachent pas que l'extension de la libre circulation aux nouveaux membres de l'UE doit faciliter la montée en puissance de ces mécanismes. «Le principal avantage de cet accord [sur la libre circulation], pour les entreprises suisses, est de pouvoir recruter de manière simplifiée des spécialistes étrangers qui font défaut en Suisse. L'efficacité et la souplesse du marché suisse du travail [comprendr e: notre capacité à dicter nos conditions] se trouvent améliorées», explique la centrale patronale economiesuisse (13 septembre 2004). Aymo Brunetti, l'idéologue néolibéral du Secrétariat à l'économie (Seco), abonde: «Il est très important de pouvoir accéder à ce nouveau réservoir de travailleurs [des nouveaux membres de l'UE, grâce à l'extension de la libre circulation], afin d'atténuer la pénurie chronique de personnel –principalement de personnel qualifié– dont [les entreprises] souffrent.» (Vie économique, mars 2004). Brunetti connaît les chiffres du chômage en Suisse: la pénurie à laquelle il fait référence renvoie donc à la surabondance permanente de main-d'oeuvre que patronat et gouvernement veulent entretenir pour exercer une pression durable et décisive sur les conditions de travail.

Echec des mesures d'accompagnement

Une question est dès lors posée: comment faire face?

Les responsables de l'Union syndicale suisse (USS), d'UNIA, comme du PSS, misent tout sur les mesures d'accompagnement et leur prétendu renforcement à l'occasion de l'extension de la libre-circulation.

Or, en l'état, ces mesures ne fonctionnent pas. «Les pires craintes des syndicats sont confirmées», doit admettre Paul Rechsteiner, président de l'USS, en conférence de presse (21 octobre 2004). «Le rôle des cantons [dans la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement]: la plupart n'ont pas fait leur devoir», réitère Regula Rytz, du secrétariat de l'USS. Et leur renforcement tel que proposé ne changera rien de fondamental à cette situation (cf. «Mesures d'accompagnement: un fiasco»).

Pour une unité internationaliste des salariés

Pour contrebattre la concurrence exacerbée entre salarié·e·s qu'organisent employeurs et autorités, trois objectifs doivent être poursuivis de concert:

· Reconstituer un socle de droits communs à tous les salarié·e·s, quel que soit leur passeport. Le droit suisse de protection des salarié·e·s est un des plus faibles d'Europe, même si la tendance au «moins disant» social s'impose partout. Lors de son dernier Congrès, en octobre 2002, l'USS a adopté un document – «Plus de droits sur le lieu de travail!» (cf. www.sgb.ch) – dressant l'état pitoyable des lieux et proposant des axes revendicatifs. Une mobilisation active devrait s'organiser sur cette base.

· Enclencher une activité collective de l'ensemble des salarié·e·s pour la défense de leurs intérêts. Cela va de pair avec un renforcement de la présence syndicale sur les lieux de travail.

· Dans ce cadre, travailler à une intégration progressive des salarié·e·s, indépendamment de leur passeport et de leur statut, dans un dispositif commun de défense. C'est nécessaire pour combattre les représentations qui vont aujourd'hui avec la mise en concurrence des salarié·e·s: d'une part, une identification à «son» emploi, «son» entreprise, «son» pays, d'autre part, la stigmatisation d'autres salarié·e·s – les travailleurs étrangers, les femmes, les temporaires, les employé·e·s de l'entreprise vers laquelle le patron menace de délocaliser – comme responsables de la dégradation de sa situation. C'est à cette condition que peuvent progressivement être reconstruits un sentiment d'identité d'intérêts et d'appartenance de classe.

L'unité internationaliste des salarié·e·s se constituera à partir de telles activités sociales et politiques pratiques, pas grâce à l'invocation d'une conception désincarnée – car abstraite des processus de réorganisation du marché du travail et des rapports de forces sociaux– de la «libre circulation».

Le sens d'un référendum

Un référendum contre l'extension de la libre-circulation, dans les conditions actuelles, a un sens dans une telle approche d'ensemble. Il devient un moment de cette bataille sociale et politique. Son message est double:

• Il n'est pas question d'accepter la poursuite du laminage des droits sociaux de tous les salarié·e·s (tous passeports et statuts confondus) au nom de la compétitivité de la place économique – le fameux «Standort» – helvétique.

• Nous sommes favorables à la libre circulation des salarié·e·s, et pas seulement entre la Suisse et l'UE. Mais elle doit impérativement aller de pair avec un renforcement effectif des droits de tous les travailleursleuses. Deux revendications précises peuvent commencer à concrétiser cette exigence. Premièrement, une protection efficace contre les licenciements pour toutes et tous –et en particulier pour les délégué·e·s des syndicats et les représentants élus des travailleurs – doit être inscrite dans le Code des obligations (CO). Deuxièmement, la loi fédérale sur les mesures devant accompagner la libre circulation doit obliger tous les employeurs à communiquer spontanément les salaires, le temps de travail et les qualifications de l'ensemble des salarié·e·s non résidant qu'ils engagent. Ces informations doivent aller aux commissions tripartites et donc aux syndicats, afin de faciliter leur travail.

Les bilatérales et la libre circulation avec l'UE – qui se combine avec des contrôles renforcés vis-à-vis des ressortissants hors UE, grâce à Schengen/Dublin! (cf. p. 2) – sont des pièces maîtresses dans la stratégie compétitive, internationalisée, d'un patronat helvétique.

Pour une fois, les organisations syndicales auraient l'occasion de mener, avec l'arme du référendum, une bataille concrète en faveur d'un renforcement des droits de l'ensemble des salarié·e·s. Cette occasion politique ne peut pas être abandonnée.

La dégradation continue de la situation sociale nourrit un mécontentement social qui sourd de partout. Une campagne politique contre la mise en concurrence des salariéls entre eux, organisée autour d'un référendum contre cette extension de la libre-circulation, peut aider à orienter ce ras-le-bol social vers une adhésion à l'idée qu'il est nécessaire de défendre des droits sociaux en commun.

A l'opposé, si des syndicats donnent leur aval à l'extension de la libre circulation – comme prévu aujourd'hui – une part croissante des salarié·e·s frappés par le «dumping» social tirera une conclusion: ce n'est pas l'action syndicale qui nous défendra.

Alors, les secteurs politiques bourgeois, qui vont au-delà de l'UDC, vont cultiver la division entre salariéls, en utilisant, entre autres, des arguments xénophobes. Ce travail a été facilité. La FTMH (un des deux piliers d'UNIA) possède une tradition «d'unité nationale» pour défendre «notre industrie suisse»! Une autre unité, entre salarié·e·s, doit se construire pour faire face à la rapacité d'une «mondialisation par le bas».

En complément, sur www.alencontre.org, un article de François Chesnais sur la nouvelle armée de réserve indutrielle, pour réfléchir aux mécanismes de la mise en concurrence des salarié·e·s entre eux


 

 
         
Vos commentaires     Haut de page