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Persévérance guerrière

Après sa victoire électorale, l’administration Bush persévère: engagement «sécuritaire» accru en Amérique latine, guerre coloniale en Irak, avec ses massacres, comme à Falloujah.

Charles-André Udry

La victoire électorale de Bush (cf. p.10) ne peut être séparée de la forte influence de l’industrie de l’armement. Les contrats des 10 premières firmes d’armement [1] ont passé de 46 milliards de dollars en 2001 à 80 milliards en 2003.

Dans le cycle électoral de 2004, Bush a reçu 62% des donations de l’industrie de l’armement, contre 38% pour Kerry, selon le Center for Responsive Politics. Les différences entre les projets de Kerry et de Bush ne portaient pas sur la masse des dépenses militaires, mais sur leur ventilation.

Bush assurait, de plus, une continuité. Ce qui explique que la firme géante Halliburton –si impliquée en Irak et si proche de Dick Cheney– a attribué 86% de ses dons à des candidats républicains et 14% aux démocrates.

La pérennité des choix réside aussi dans l’architecture militaire élaborée par le noyau dur des républicains. Ses lignes de force se retrouvent: dans le PNAC (Project for a New American Century) datant de 1997; dans les études élaborées, depuis 1988, par le Center for Security Policy; dans le National Institute for Public Policy qui jeta, en 2001, les bases de la politique nucléaire de l’actuelle administration.

En termes de commandes d’armes, Bush et ses conseillers ont réussi à opérer une sorte de synthèse entre des dépenses qui additionnent les «besoins de la lutte contre le terrorisme» –incluant le vaste dispositif de sécurité interne aux Etats-Unis– et ceux qui semblent issus des «exigences de la guerre froide»: système de défense antimissile et armement nucléaire. Voilà de quoi satisfaire un large éventail de sociétés liées à tous les segments de l’industrie dite de la défense.

Un avant-goût de régime militarisé

Elections gagnées, Donald Rumsfeld se rend à Quito (Equateur). Il y préside, le 16-17 novembre, un sommet réunissant les ministres de la Défense des pays d’Amérique latine. Dans un communiqué, Rumsfeld insiste sur la volonté des «Etats-Unis de discuter avec les pays américains de questions relevant du maintien de la paix, de la sécurité régionale et de la coopération militaire». L’objectif: développer «une politique plus intégrée de lutte contre la guérilla et le trafic de la drogue».

A cette occasion, Rumsfeld rend public un rapport du Council on the Americas, commandé par le Pentagone, au titre évocateur: «Assurer le développement régional en assurant un climat favorable à l’investissement dans l’hémisphère».

L’argumentaire peut se résumer ainsi: les investisseurs passent à côté des pays latino-américains car la «sécurité» n’y est pas assurée. Lisez: les résistances populaires aux effets des privatisations sans rivages secouent l’Amérique latine; il faut y mettre un terme. «Stabiliser» la région en mâtant les soulèvements populaires.

En conclusion, pour Rumsfeld: la collaboration entre police et armée doit se resserrer pour assurer «la souveraineté nationale». Cette formule remplace celle de «sécurité nationale» qui évoque trop vivement les dictatures militaires mises en place au cours des années 1960-1970. Rumsfeld insista sur la collaboration militaire transfrontalière, comme le fit Bush, lors de sa brève visite, le 22 novembre, à Carthagène (Colombie) afin d’appuyer la dictature civilo-militaire d’Uribe.

Le bras militaire des Etats-Unis et de ses «alliés» prolonge celui de la libéralisation commerciale –l’ALCA (Zone de libre-échange des Amériques)– qui doit aussi servir à contrecarrer la présence croissante des pays de l’Union Européenne et, récemment, de la Chine dans le continent sud-américain.

Irak: pétrole et élections

En Irak, après le massacre de Falloujah, les actions de résistance n’ont pas cessé: comme l’illustrent les attaques contre les troupes américaines, les 27 et 28 novembre, dans la province d’Anhar et de Babil (ex-capitale située sur l’Euphrate, au sud de Bagdad).

L’échéance des élections fixée au 30 janvier 2005 –dans le fil de la résolution 1546 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée le 9 juin 2004– est difficile à tenir. La réitération unanime de cet objectif au sommet de Charm el-Cheik (Egypte), les 22 et 23 novembre, n’assure pas sa concrétisation.

Ces élections se veulent un pas vers la création des conditions minimales pour une gestion contrôlée de l’Irak qui permettrait de rentabiliser, enfin, l’exploitation de ce super champ pétrolier. Ce qui exige la rénovation des installations et des prospections, donc des investissements considérables.

Les sabotages –plus de 250 durant les derniers 18 mois– ont fait retomber, au printemps et en été, la production aux environs de 1,8 million de barils/ jour, après une pointe, en avril 2004, à 2,5 millions.

Cela fait toutefois de l’Irak un producteur aussi important –sans mentionner l’avantage de la qualité du pétrole– que le Venezuela ou le Koweït. De quoi amortir la hausse des prix du brut, comme le mentionne le Wall Street Journal (29 novembre 2004).

Thamer al-Ghadhban, le ministre du pétrole du gouvernement intérimaire irakien, confie que «restaurer un semblant d’ordre a été crucial pour stabiliser la production en septembre et octobre»!

Les majors pétrolières piaffent d’impatience pour entrer en action. Des PME sont envoyées en reconnaissance dans le sud et le nord du pays. Royal Dutch/Shell Group et Chevron/Texaco signent des contrats leur permettant de prendre en main, demain, la planification et la formation du personnel, en vue d’un futur qu’elles espèrent proche.

Un agenda hasardeux

Les élections irakiennes s’inscrivent donc dans l’agenda politique national et international de Bush. Toutefois, la maîtrise de cette échéance est loin d’être garantie.

La résistance, qui est multiple et différenciée, ne baisse pas les bras. Le 27 novembre, 17 partis relativement petits, pour l’essentiel ayant une base sunnite, ont demandé le report des élections. L’Association des Sages musulmans appelle au boycott: «pas d’élections sous occupation».

John Negroponte, l’ambassadeur des Etats-Unis, ainsi que son serviteur Allaoui ont rejeté cette demande, avec l’appui du leader chiite Ali Sistani. Khatami, le président de l’Iran, s’est prononcé pour des «élections aussi rapidement que possible». Il traduisait le choix d’Ibrahim Jaafari, leader du principal parti chiite traditionnel: le Dawa.

Ces prises de position semblent susciter des fortes réprobations parmi les partis kurdes comme sunnites. Ces élections doivent mettre en place une assemblée constituante, placée sous surveillance américaine.

Or, par définition, une telle assemblée doit décider de problèmes tels que: à qui reviendront les revenus du pétrole du Nord? La majorité chiite sera-t-elle contrebalancée par une chambre haute où les sunnites disposeront d’un poids accru? Ce genre de demande peut être multiplié par dix. De quoi provoquer débats et affrontements.

Une série de faits têtus sont tus ou déformés par les médias. Réduire la résistance au «triangle sunnite» ne correspond ni à la réalité ni à son importance dans le pays. Les revendications des partis kurdes sont loin d’être des facteurs de stabilité: une super-province kurde échappant presque au pouvoir central futur inquiète. Une majorité chiite trop écrasante suscitera des oppositions et même des surprises pour les occupants américains. La «nouvelle armée irakienne» est encore, et pour longtemps, inutilisable. Une participation électorale complètement inégale selon les régions ne fera qu’exacerber les tensions et le caractère illégitime de cette opération.

Des élections à une Constituante placée sous surveillance coloniale ne sont qu’une facette d’une politique de négation de l’autodétermination du peuple d’Irak, avec ses diverses composantes. Les médias occidentaux chercheront à vendre cette comédie, si elle reste programmée. Cela ne devrait qu’encourager le mouvement pour l’autodétermination du peuple irakien et contre l’occupation à reprendre vigueur aux Etats-Unis et en Europe.

1. Les 10 principales firmes d’armement sont: Lockeed Martin, Boeing Company, Northrop Grumman, General Dynamics, Raytheon Company, Inted Technologies, Halliburton Company, General Electric, Sciences Applications International Corp (SAIC), Computer Science Corporation (qui contrôle Dyncorp, la société spécialisée dans l’encadrement militaire en Colombie, Afghanistan ou Irak).

 
         
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