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Ouverture des commerces
 
   


Contrer la libéralisation

Guy Zurkinden


Fribourg: la votation sur la Loi sur le commerce (Lcom), combattue par référendum du MPS, aura lieu le 5 juin.

La votation à Fribourg sur la révision de la Loi sur le commerce (Lcom), contestée par un référendum du Mouvement pour le socialisme (MPS), aura lieu le 5 juin et pas le 25 septembre, date d’abord pressentie. Ce choix est politique. Pour le Conseiller d’Etat fribourgeois socialiste Claude Grandjean, il s’agit d’éviter que la Lcom soit votée en même temps que la révision fédérale de la Loi sur le travail généralisant l’ouverture des magasins le dimanche dans les centres de transport: «Il est vrai que si les deux objets sont soumis au vote en même temps, on peut être sûr que le comité référendaire en profiterait pour jouer sur la confusion et prôner le double non.» [1] Le conseiller d’Etat va plus loin: «Lors de la récolte des signatures, il [le MPS] a d’ailleurs entretenu sciemment cette confusion en présentant l’objet fédéral pour faire ensuite signer le référendum contre la loi cantonale. C’est un procédé malhonnête et antidémocratique».


Le but de cette mise en cause de la légitimité du référendum du MPS est clair: éviter le débat sur le travail du dimanche, en affirmant que la Lcom n’y touche pas. Le Conseil d’Etat suit ainsi la position de l’Union Patronale, pour qui le MPS a réussi à réunir les signatures «à coup d’annonces mensongères et d’affirmations malhonnêtes», alors que «le dimanche n’est pas touché par les modifications de la loi sur le commerce.» [2] Et pourtant… les «commerces liés aux stations d’essence» ouvrent le dimanche, suivis déjà par d’autres.

L’agressivité des autorités et du patronat cache une crainte: que les votant·e·s fassent le lien entre la libéralisation du travail du dimanche pour les «commerces liés aux stations d’essence» au niveau cantonal, celle prévue pour les «centres de transports» au niveau national, et la généralisation du travail dominical pour tous les commerces, annoncée et préparée par une motion au Conseil des Etats. Le rythme de la libéralisation des heures d’ouverture s’emballe et la logique d’entraînement de la «libéralisation par étapes» apparaît clairement.


Au même moment, les grands distributeurs suisses (Coop, Migros, Denner) préparent l’arrivée des géants Aldi et Lidl par des campagnes publicitaires agressives et le renforcement de leurs gammes de «prix cassés». L’intensification de la concurrence internationale dans le commerce de détail «a fortement durci la lutte des prix et de l’image, notamment chez les grands distributeurs. Cela plombe les ventes et les marges et accélère la concentration au sein du secteur.» [3]

«Au début j’étais content d’avoir un travail, mais ce qui se passe, c’est simplement inhumain. Seuls la marchandise et le client comptent, la caissière ou l’employée n’est qu’une bête de somme. Les menaces font partie du quotidien. On n’a pas le droit d’être malades.» La lecture des témoignages de salarié·e·s du groupe Lidl dans le «Livre noir» [4] publié par le syndicat Ver.di montre les effets concrets pour les salarié·e·s de cette concurrence entre grands groupes.

Ces effets sont souvent «oubliés» dans le débat public sur la «nécessaire baisse des prix»: pour maintenir leurs profits dans cette concurrence par les prix, les grands distributeurs vont augmenter la pression sur leurs salarié·e·s et leurs fournisseurs. Licenciements et baisses de salaires sont au programme. Ils iront de pair avec une flexibilité accrue du temps de travail, grâce aux modifications de loi en cours. Des conventions collectives de travail (CCT) vides de toute protection effective pour les salarié·e·s, signées avec certains syndicats, comme celle pour le personnel des «shops» à Fribourg, serviront à faire passer la pilule.


Une campagne faisant le lien entre ces éléments (libéralisation généralisée des heures d’ouverture des magasins, concurrence accrue entre grands groupes, augmentation de la pression sur les conditions de travail et de salaire dans le secteur de la vente) et la dégradation des conditions de travail et de salaire de l’ensemble des salarié·e·s, par le renforcement de leur mise en concurrence, peut rencontrer un large écho. C’est ce qu’a montré l’aboutissement du référendum du MPS à Fribourg. C’est ce que craignent le Conseil d’Etat fribourgeois et l’Union patronale.

Pour tuer dans l’œuf tout débat, le Conseil d’Etat et l’Union patronale tendent la main à leurs «partenaires sociaux» syndicaux en leur faisant miroiter une CCT étendue à tout le secteur de la vente. Ces derniers vont-ils à nouveau tomber dans le piège? Le syndicat Syna a déjà décidé d’appeler à voter OUI à la Lcom révisée. Unia n’a pas encore pris de décision. La signature de CCT à tout prix – indépendamment de leur contenu – restera-t-elle la seule stratégie syndicale face aux bouleversements qui s’annoncent dans la grande distribution? Va-t-on vers un nouveau «deal» entre flexibilité étendue à toute la grande distribution et CCT élargie?

La réponse à ces questions dépendra, en partie, du résultat de la votation du 5 juin. Un NON à la Lcom permettrait de renforcer la lutte de tous les salarié·e·s contre la flexibilisation sans limite de leur temps de travail. Ce sera l’enjeu central de la votation.


1. La Liberté, 3.3.2005. Le matériel de récolte est disponible sur ce site. Chacun pourra juger sur pièce…

2. Info Patronale, numéro 164, février 2005.

3. UBS Outlook 1/2005.

4. Schwarz Buch Lidl, A. Hamann und G. Giese, édité par le syndicat ver.di.