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Sacrifiés au OUI du 25 septembre

Jean-François Marquis

Les ouvriers de la construction sont sacrifiés par les sommets d’Unia au OUI du 25 septembre. Ils payeront la sainte alliance scellée en faveur du paquet «libre circulation/mesures d’accompagnement au rabais» en travaillant plus, y compris le samedi.

«Les parties contractantes [les syndicats Unia et Syna, la Société suisse des entrepreneurs] ont assumé leurs responsabilités par le biais de cet accord concernant le renouvellement de la [Convention nationale pour le secteur principal de la construction], et ce précisément en vue de la votation populaire de septembre. Cet accord permet d’éviter que le conflit ait des retombées négatives sur l’issue du scrutin» du 25 septembre [1].

Comme redouté dans le dernier numéro de La brèche (No12, p.12), la sainte alliance nouée entre les sommets de l’Union syndicale suisse (USS) et d’Unia, le Conseil fédéral et le patronat en vue de la votation du 25 septembre a fait ses premières victimes: les ouvriers du bâtiment. Pour ne pas être mise en difficulté avec son OUI le 25 septembre, la direction d’Unia a négocié au sommet un accord réglant pour deux ans les conditions de travail dans le secteur principal de la construction (gros œuvre), concernant près de 90’000 travailleurs. Elle a cédé, sans combattre, sur l’augmentation de la flexibilité et le travail du samedi. Pour faire avaler la couleuvre, les salaires seront augmentés de 2% (Fr.106.– par mois). Le travail de mobilisation commencé est cassé net. L’effet se fera sentir longtemps.

Le patronat donne le ton

La Convention nationale (CN) du gros œuvre est la convention collective de travail (CCT) de référence dans la construction. Elle est une des dernières CCT nationales avec des salaires minimaux, des règles en matière de temps de travail et un dispositif de contrôle de son application. En 2002, le patronat a dû céder sur la retraite anticipée dès 60 ans, après une grève nationale d’une journée.

Les entrepreneurs se sont alors organisés pour reprendre la main. Ils ont accéléré la réorganisation du travail dans la branche, minant la capacité de défense collective des salarié·e·s (cf. encadré). En janvier 2005, la Société suisse des entrepreneurs (SSE) a présenté un projet de démontage pur et simple de la CN (cf. La brèche No10). C’est un classique patronal: présenter un programme brutal de contre-réformes, qui impose une perspective et, en même temps, exercer une pression maximale pour arracher des concessions concrètes.

Démobilisation organisée

La présentation sur les chantiers de ce paquet patronal a provoqué un choc. Dans un premier temps, incrédulité, espoirs dans des solutions individuelles et colère ont pu se mêler. Mais il y avait une disponibilité pour réagir collectivement. Il existe encore dans cette branche une certaine tradition: on sait que c’est en se mobilisant que l’on peut obtenir quelque chose. Transformer cette disponibilité en activité exigeait cependant, comme très souvent, que l’on se donne du temps pour expliquer, pour ressouder les rangs, pour refaire des expériences d’actions collectives, pour regagner confiance.

Mais la direction d’Unia avait en tête d’autres préoccupations. La violente attaque patronale et un possible vide contractuel rendaient intenable son OUI au «paquet fédéral» le 25 septembre. Comment prétendre qu’il faut faire confiance aux mesures d’accompagnement si une CCT comme celle-là est menacée?

Les hiérarques d’Unia ont décidé de privilégier la résolution de cette difficulté à la défense des conditions de travail des ouvriers du bâtiment. Avec succès.

En mai, des rencontres en tout petit comité, autour de Vasco Pedrina du côté d’Unia, et de Werner Messmer, président de la SSE, du côté patronal, ont court-circuité les instances normales de négociation. Cela a abouti à un accord, négocié dans le secret, et rendu public le 26 mai. La conférence professionnelle d’Unia doit formellement se prononcer le 4 juin (après le bouclage de ce numéro), moins de 10 jours plus tard. Le résultat ne fait pas de doute: la combinaison de négociations secrètes et de marche forcée dans les prises de décision réduit l’exercice d’expression démocratique de l’avis des membres, que devrait être une conférence professionnelle, à une triste caricature.

Travailler plus, et le samedi

Les employeurs ont fait de la flexibilité l’enjeu essentiel. En mars, le patron de Zschokke, Christian Bubb, expliquait que «les temps changent. C’est la flexibilité qui est aujourd’hui importante. Nous voulons pouvoir fixer le montant total d’heures de travail par année et décider quand nous souhaitons en disposer. […] Il ne s’agit pas de travailler chaque samedi. Il y a cependant des moments où nous devons le faire.» (Le Temps, 26 mars 2005)

Grâce à l’accord négocié avec Pedrina, les entrepreneurs font un grand pas dans cette direction. Le temps de travail reste en moyenne de 40,5 heures par semaine. Mais les entrepreneurs pourront désormais imposer des horaires hebdomadaires de 48 heures sans avoir à payer la moindre surcharge pour heure supplémentaire: 43 seront payées au tarif normal et 5 pourront être reportées le mois suivant. Chaque mois, 20heures «variables» pourront être ainsi reportées, jusqu’à concurrence de 100heures (75 aujourd’hui). Cela donne la possibilité d’imposer cinq mois durant des horaires de près de 48heures hebdomadaires, sans le moindre supplément. Alors que l’on sait combien ce travail peut être usant. De plus, le travail du samedi est libéralisé: les entreprises devront l’annoncer mais les syndicats ne pourront plus s’y opposer. Ce dispositif ouvre donc la voie à une augmentation du temps de travail et au travail du samedi –donc une pénibilité accrue du travail– combinés avec une baisse de revenus (la perte des surcharges pour une grande partie des heures supplémentaires).

L’impact d’un tel accord est prévisible. Les employeurs vont l’utiliser pour augmenter la pression sur les chantiers. Une démobilisation des salariés, lâchés par leur direction syndicale, est inévitable. La capacité des employeurs à imposer leurs conditions –mesures d’accompagnement ou pas– va donc encore grandir. Ce qui, dans deux ans, les rendra encore plus offensifs pour démanteler le dispositif de défense des salariés. (30 mai 2005)

1. Communiqué commun des parties contractantes du secteur principal de la construction, 26 mai 2005.

 

Une branche bouleversEe

La branche de la construction est plongée depuis le début des années 90 dans un processus de restructurations qui a bouleversé les conditions de travail dans le secteur principal de la construction (sans même parler du second œuvre). Cette évolution s’est accélérée ces dernières années (cf. La brèche No7). Quelques repères:

• La sous-traitance et le travail intérimaire, organisés par les plus grandes entreprises, jouent un rôle décisif sur les chantiers. Un tiers environ des salariés sont des temporaires. La sous-traitance est systématique et à plusieurs degrés: la sous-traitance au troisième niveau n’est plus une exception. Echafaudages, coffrage, ferraillage: toutes ces activités, et bien d’autres, sont sous-traitées. Un chantier «typique» ressemble aujourd’hui à ceci: 5 ou 6 ouvriers de l’entreprise principale et une quinzaine d’autres, temporaires ou sous-traitants.

• Le contrôle de conditions de travail chez les sous-traitants et pour les temporaires est dès lors très difficile. Le dumping est fréquent. La pression liée aux délais est extrême. C’est le règne de la précarité la plus extrême et de pratiques que l’on croyait d’un autre temps. Par exemple, le recrutement, au jour le jour, d’ouvriers pour le ferraillage, choisis chaque matin par le patron, comme les journaliers au XIXe siècle.

• Si l’on ajoute les travailleurs avec des permis de courte durée (L, plus précaire que l’ancien statut de saisonnier) et les travailleurs détachés, on a une idée de l’éclatement des conditions qui règnent sur un chantier et sur lequel jouent les patrons. Ce qui rend plus difficile –mais pas impossible– de tisser des liens de solidarité.

• Unia Tessin a diffusé début 2005 un questionnaire parmi les salariés de la branche (1 sur 4 y a répondu). Il en ressort notamment que: 50% estiment que leur pouvoir d’achat a reculé ces 5 dernières années et 34% qu’il a stagné; 91% considèrent que les rythmes de travail sont trop stressants; 80% disent qu’ils sont obligés de travailler sous la pluie; 61% qu’ils ont des problèmes de santé liés au travail.

 
         
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