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L’arbre et la forêt

Jean-François Marquis


Les élections du 18 septembre 2005 sont présentées comme un moment de grand changement. Mais lequel?

Les élections fédérales du 18 septembre  prochain en Allemagne mobilisent l’attention. A gauche, les regards se focalisent sur ce qui est présenté comme un nouveau parti, “Die Linkspartei” (Le Parti de gauche). Avec ses figures de proue Oskar Lafontaine et Gregor Gysi (cf. La brèche No14-15), il est crédité d’environ 10% d’intentions de vote. Cela galvanise toutes sortes d’espoirs.

Pour le quotidien de la finance britannique, le Financial Times (FT, 26 août 2005), ces élections sont “les plus importantes depuis 1969”. La bourgeoisie européenne attend aussi beaucoup du scrutin. Le “Parti de gauche” ne semble cependant pas lui provoquer de migraines. De quoi réfléchir.

Le “modèle VW”

Le potentiel d’une force politique, comme le Parti de gauche, n’est pas décelable si l’on fait abstraction du contexte social et politique dans lequel elle émerge et agit. Quel est ce contexte aujourd’hui en Allemagne?

Début juillet: un scandale sans précédent éclate à Volkswagen (VW). D’anciens hauts cadres de la multinationale, le chef du personnel Peter Hartz ainsi que le président du Comité d’entreprise (Bebriebsrat), Klaus Volkert, sont impliqués dans un ensemble d’affaires où se mêlent: la mise en place de sociétés écrans pour décrocher des commandes de VW, des voyages de luxe des membres du Comité d’entreprise agrémentés de “cadeaux divers”, la location des services de prostituées, le tout financé par des comptes de VW. Volkert et Hartz ont dû démissionner. Ils étaient depuis le début des années 90 les piliers du prétendu “modèle social” VW, si souvent cité en exemple au sein du mouvement syndical européen. Volkert, “représentant” du personnel, touchait un salaire annuel de 365’000 euros. Il était un des pontes du syndicat IG Metall. Il siégeait au conseil de surveillance de VW avec notamment Jürgen Peters, le président d’IG Metall. Impossible de surestimer la signification de ce scandale.

• La direction de VW, qui n’a pas dû être surprise, va lancer une brutale restructuration. Le groupe a des capacités pour produire 6 millions de voitures: il n’en fabrique que 5. “VW avertit qu’il y aura des coupes dans les salaires ou dans l’emploi”, titrait le FT du 25 août 2005. La direction de VW va profiter du discrédit frappant le syndicat et le comité d’entreprise pour passer en force.

“Le monde du business allemand doit devenir plus flexible et s’adapter plus rapidement à la compétition globale. Pour cela, il doit améliorer sa productivité et baisser ses coûts salariaux. La question est: peut-il continuer à y parvenir par le biais du consensus?” (FT, 12 juillet 2005). Le patronat allemand s’empare de l’affaire pour porter un coup décisif au système de la participation (Mitbestimmung) et accroître sa marge de manœuvre.

• Ces révélations mettent à jour le niveau de connivence atteint entre des sommets des appareils syndicaux et les lieutenants du Capital (comme Hartz). Avec les multiples mécanismes de corruption, en petit ou en grand, que cela implique. Tout indique que VW n’est pas une exception.

• Avant même ce scandale, les salarié·e·s ont subi, particulièrement en 2004, une succession de défaites majeures, qui se sont traduites par une augmentation du temps de travail et de la flexibilité, ainsi qu’une diminution des salaires. Que ce soit chez Siemens, à DaimlerChrysler, chez Opel ou dans la fonction publique, les directions syndicales ont joué un rôle crucial pour laisser les protestations sans perspectives et pour faire accepter ces déroutes comme un “moindre mal”.

• L’hebdomadaire The Economist du 20 août dernier titre: “La surprenante économie de l’Allemagne”. Suit un bilan, éloquent: “Suite à l’intense pression qu’elles ont subie ces dernières années, les grandes firmes allemandes ont restructuré et coupé dans leurs coûts, qui avaient gonflé. Pour une fois, ce processus a été aidé par les syndicats.” En conséquence “l’Allemagne, longtemps pays d’Europe avec les coûts les plus élevés, a pris une avance en terme de compétitivité sur la France, l’Italie, les Pays-Bas et même la Grande-Bretagne.” Evidemment, “les profits et la Bourse ont fortement augmenté”. Pour expliquer cette évolution, The Economist va à l’essentiel: “Une étude récente de la banque Morgan Stanley montre que plus de 30% de la force de travail en Allemagne est désormais engagée à temps partiel ou de manière temporaire. Cela signifie que les entreprises peuvent  recourir à leurs services de manière beaucoup plus flexible qu’avant.” Sans compter l’impact des cinq millions de chômeurs, dont les prestations ont été brutalement réduites par la loi Hartz IV.

“Schröder mérite le respect”

Du social, passons au contexte politique. A nouveau, la bourgeoisie, allemande ou européenne, est explicite.

Le Financial Times du 26 août publie un plaidoyer pour une claire victoire, le 18 septembre, de la CDU/CSU d’Angela Merkel. Néanmoins, “Gerhard Schröder, l’actuel chancelier, mérite le respect pour avoir commencé le processus de réformes. Ses réformes sociales ont rendu plus difficile pour les chômeurs de longue durée de prétendre à des indemnités permanentes. Ses réformes ont souvent été critiquées (…) Mais, au moins, c’était un début.”

Le patronat allemand souhaite une victoire d’Angela Merkel lui permettant de gouverner avec les Libéraux, car “les dirigeants du patronat allemand veulent que les élections débouchent sur des réformes du marché du travail augmentant le temps de travail, accroissant la flexibilité et facilitant l’engagement et le licenciement du personnel”, explique le FT du 18 août. Le journal cite le directeur en Allemagne de la banque d’affaires Goldmann Sachs: “Si elle arrive à s’imposer, Merkel mènera des réformes plus agressives que personne ne l’imagine et elle s’appuiera pour cela avec succès sur la dynamique créée par l’Agenda 2010 [de Gerhard Schröder].” Mais une grande coalition, regroupant les conservateurs de la CDU/CSU et le SPD, est aussi envisagée. Le patron d’Allianz, la plus grande compagnie d’assurances du pays et un pilier du capitalisme d’Outre-Rhin, donne son sentiment: “Je ne sais pas si nous en arriverons à une grande coalition, mais mes contacts avec tous les partis font que j’ai relativement confiance dans le fait que, quelque soit la constellation gouvernementale, elle poussera relativement rapidement à la réalisation des réformes. Il n’y a pas de grand danger de stagnation.” (FT, 18 août 2005).

Le neuf et le vieux

Voilà le contexte de la percée, dans les sondages pour l’heure, du Parti de gauche. Les actions de protestation n’ont pas manqué: des manifestations du lundi contre les lois Hartz aux grèves chez Daimler ou Opel. Mais aucune n’a permis de mettre un cran d’arrêt à cette offensive de la classe dominante. Ni n’a grossi les rangs d’un mouvement social. L’écho électoral rencontré par le Parti de gauche n’est pas le prolongement d’une résistance sociale en train de s’amplifier et de s’organiser. Il en est plutôt le substitut.

Ensuite, l’habit neuf – le nom de Parti de gauche et l’écho soudain dans les médias – ne doit pas faire oublier le bois dont est fait celui qui les porte. C’est le PDS, lui-même hériter direct du SED, le Parti unique stalinien à la tête de la DDR jusqu’en 1989, qui a changé de nom. Son appareil, formé aux meilleures traditions, est aux leviers de commande; il a déjà réduit son “partenaire” de la WASG (Alternative électorale pour le travail et la justice sociale) à la portion congrue. Le PDS a participé à plusieurs coalitions gouvernementales avec le SPD, dans des Länder de l’est et à Berlin. En appliquant, sans rechigner, des programmes de contre-réformes à la Schröder. Les piliers syndicaux de la WASG “sont chez eux dans les milieux sociaux-démocrates classiques” (NZZ, 23 août 2005). C’est encore plus vrai d’Oskar Lafontaine, longtemps président du SPD. Lors du Congrès du Parti de gauche, il vient de s’opposer à un salaire minimum de 1400 euros, parce que “trop élevé” (NZZ, 29 août 2005). Il n’a pas été ministre des finances de Schröder pour rien.

Les sondages indiquent que deux tiers des personnes voulant voter pour le Parti de gauche le font par rejet des partis existants. Confondre cette protestation, réelle, avec les bases d’une recomposition d’une alternative sociale et politique, ne peut que préparer des désillusions.

 
         
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