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Lendemains de votation
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Un résultat, et ses longues conséquences

Jean-François Marquis

La question sociale était au centre du scrutin du 25 septembre, comme nous l’avions expliqué depuis une année.  Analyse.

“Nouvelle victoire de l’ouverture” (Le Temps, 26.9.2005): tout ce que la Suisse compte d’officialité et d’”experts”, ou presque, a célébré la “large” victoire du OUI, le 25 septembre. Depuis une année, La brèche a exposé les arguments motivant notre NON: le soutien à une libre circulation-à-travail-égal-salaire-égal et, à partir de cet objectif, le refus de mesures d’accompagnement illusoires. Retour sur quelques leçons de cette votation.

“Beaucoup de réfractaires”

“On oublie peut-être un peu vite que l’accord était soutenu par le Conseil fédéral, les partis, y compris une part de l’UDC, le patronat, les syndicats, les autorités cantonales [et les médias !]. Bref tous les relais étaient en action. Vu sous cet angle, 44 % de “non”, c’est beaucoup de réfractaires et politiquement un phénomène non négligeable.” Ce constat de bon sens n’est pas celui d’un déçu du NON, mais d’André Gavillet, ancien conseiller d’Etat socialiste (Domaine public, 30.9.2005).

Dans Le Temps du 29 septembre, trois “experts” commentent: “Les communes suburbaines et périphériques, socialement moins favorisées [ont manifesté] plus de réticences. […] L’acceptation […] diminue surtout dans les communes suburbaines (par exemple Meyrin) et agro-industrielles [sic] (par exemple le Val-deTravers). Une part des ouvriers change de camp.” Les quatre grandes communes populaires périphériques à Genève (Vernier, Onex, Lancy, Meyrin) ont ainsi dégagé une majorité pour le NON. Dans les quartiers populaires de Zurich-Nord et dans les communes ouvrières avoisinantes, le NON est proportionnellement nettement plus important, et parfois majoritaire. A l’inverse des beaux quartiers de la Goldküste. Claude Longchamp, directeur de l’Institut d’enquête GFS, conseiller du Parti socialiste à ses heures, confirme sous un autre angle: il évalue que la participation a été plus faible parmi les ouvriers du secteur industriel –  où les salarié·e·s d’origine étrangère sont nombreux  –, parce qu’ils “ne voulaient pas voter Non mais ne pouvaient pas non plus dire Oui” (work, 30.9.2005).

Premier constat, de larges couches populaires n’ont donc rien cru à la déferlante de propagande de la Suisse officielle, unie comme jamais. Voilà effectivement un “phénomène politiquement non négligeable”.

Le social au centre

Deuxième constat: “Pour les votants, il y avait une préoccupation centrale: la pression sur les salaires.” Claude Longchamp confirme une évidence: c’est la question sociale –  et pas celle de la xénophobie  – qui était au centre de cette votation.

Cela ne devrait pas surprendre. Depuis 15 ans, les salarié·e·s de ce pays sont confronté·e·s à: une déstabilisation croissante des stables, un chômage important et qui est devenu durable, un pouvoir d’achat rogné année après année, des secteurs d’emplois de plus en plus amples où bas salaires et précarité sont la norme, des inquiétudes croissantes à propos des retraites, et pour la première fois depuis longtemps, la perspective que leur avenir, et celui de leurs enfants, ne sera pas meilleur, mais pire.

Ce contexte représentait une opportunité pour les organisations prétendant représenter et défendre les intérêts des salarié·e·s, les syndicats: manifester de l’empathie pour ces inquiétudes, aider à dépasser le stade de la peur –  pouvant déboucher sur le ressentiment – en proposant un combat commun, même fort limité, pour des droits collectifs aidant à faire face ensemble. La concrétisation politique de cette option était offerte sur un plateau: une campagne unitaire et forte pour un NON, afin d’arracher de vraies mesures d’accompagnement.

Au contraire, et c’est le troisième constat, on a eu droit au déni du vécu de ces centaines de milliers de salarié·e·s. Comme de leurs expériences: par exemple celle qui les faisait dire qu’ils ne croyaient pas aux contrôles annoncés, n’en ayant jamais vu de leur vie de travailleur·euse. La disqualification paternaliste est venue renforcer le déni: le qualificatif infamant de “xénophobe” –  estampillé par les gardiens du politiquement correct d’”A gauche toute !”  – immédiatement collé sur l’expression de ces inquiétudes.

La votation du 25 septembre offrait une occasion rare de faire un petit pas vers l’émergence d’une certaine conscience des intérêts communs des salarié·e·s, opposés à ceux de la bourgeoisie qui gouverne ce pays. Vers un peu d’indépendance de classe. Les directions syndicales ont fui cette chance. Elles ont préféré, conjointement avec le Parti socialiste, redoubler les chaînes d’or de l’unité nationale et du néo-corporatisme, en scellant une paix du travail version XXIe siècle, au carré. Leur incorporation docile à l’alliance interclassiste qui a mené la campagne du 25 septembre, pilotée par le tandem économiesuisse / Conseil fédéral, a concrétisé ce choix. Elles ont en même temps accru les risques que la disqualification se transforme en prophétie autoréalisatrice: l’expression politique des inquiétudes sociales de ces couches des salarié·e·s abandonné·e·s à leur sort est imprévisible ; la voie est libre pour les pires courants chauvins voulant en profiter.

Illusionnisme

“Après le 25 septembre, syndicats et patrons reprennent leurs distances.” (Le Temps, 30.9.2005) Les pontes syndicaux n’ignorent pas l’écart entre leurs discours lénifiants en vue du 25 septembre et la réalité. Ils veulent donc faire croire à une parenthèse. C’est comme essayer d’effacer les effets d’une escroquerie politique par un numéro d’illusionnisme.

Premièrement, l’occasion est perdue. La votation du 25 septembre avait la particularité, rare, d’un scrutin portant sur une question clé pour la bourgeoisie et dont le résultat dépendait fondamentalement du positionnement des syndicats. Tout le monde le reconnaît. Ce plat ne sera pas resservi.

Deuxièmement, le mécanisme au cœur des mesures d’accompagnement acceptées est que leur application dépend du bon vouloir du patronat et de l’Etat. C’est la différence essentielle avec celles que nous revendiquions (cf. La brèche No 16): elles visaient à introduire des droits dont les salarié·e·s et leurs organisations pourraient faire usage en toute indépendance. Les fameux “150” inspecteurs annoncés sont une tromperie: leur nombre effectif dépendra de la décision des cantons. Les patrons et l’Etat pourront bloquer dans les commissions tripartites toute demande d’extension de convention collective de travail (CCT) ou de contrat type avec salaires minimums. Même la soumission des entreprises temporaires aux cotisations pour la retraite anticipée dans le bâtiment (un argument important pour Unia) n’est pas réglée: les patrons voudraient que cela n’intervienne qu’après trois mois, c’est-à-dire pratiquement jamais ! (work, 30.9.2005).

En clair, en appelant à voter OUI, les directions syndicales ont choisi de remettre, au soir du 25 septembre, tous leurs atouts aux mains du patronat et de l’Etat. Qui en feront bon usage.

La déclaration de Peter Spuhler, l’entrepreneur UDC, le soir même du 25 septembre prend dès lors son sens: “Aux syndicats, l’entrepreneur Spuhler dit qu’il faudra maintenant observer comment les mesures d’accompagnement agissent sur le marché du travail. En cas d’évolution défavorable, “il faudra corriger”. (Tages-Anzeiger, 26.9.2005) Le signal politique est clair: le temps des boniments est passé. Retour à la réalité. Il suffit d’observer l’orientation prise par le patronat allemand (cf. p. 12) –  un repère décisif pour la bourgeoisie helvétique  – pour savoir ce que cela signifie.

Test acide

Le test acide est d’ailleurs pour bientôt: le renouvellement de la CCT de l’industrie des machines. La plus importante de Suisse. Depuis des décennies, elle ne contient aucun salaire minimum. Le patronat veut maintenant pouvoir augmenter le temps de travail (sans compensation salariale) ou rogner le 13e salaire. Bref, aggraver et pérenniser l’article de crise de 1993. Des décennies de “partenariat social” ont laissé Unia lessivé dans ce secteur. De quelle aide seront les mesures d’accompagnement ?

On peut jouer à l’idiot, ou au cynique, et proclamer qu’il faut “prendre au mot” les patrons ayant déclaré leur refus du dumping et faire des salaires minimaux une exigence non négociable. Ou être sérieux: ce renouvellement démontrera que les promesses faites le 25 septembre n’étaient qu’une tromperie. Qui pose avec force l’exigence d’une refondation de la politique syndicale et de gauche, ainsi que des structures capables de les incarner.

 
         
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