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Mouvement anti-guerre
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Voix d’Amérique… contre la guerre

Cécile Pasche, Paolo Gilardi

Le 24 septembre a marqué la plus importante mobilisation aux Etats-Unis contre la guerre en Irak depuis mars 2003. Eclairages.

Entre 250’000 et 300’000 manifestant·e·s à Washington du 24 au 26 septembre, plus de 50’000 à San  Francisco, entre 5 000 et 10’000 dans des villes de moindre importance: aux Etats-Unis, le mouvement contre la guerre et l’occupation de l’Irak reprend des forces. Des dizaines de milliers de personnes ont aussi défilé à Londres contre la guerre et l’occupation de l’Irak, le 24 septembre.

2004 avait été marquée par un double recul de ce mouvement. La démoralisation consécutive au fait de ne pas avoir pu empêcher la guerre avait été grande pour des couches larges qui, pour la première fois, s’étaient mises en mouvement en 2003. La subordination voulue par une partie de la direction du mouvement anti-guerre à l’agenda du candidat anti-Bush –  le Démocrate John Kerry, dont les options irakiennes n’étaient pas différentes de celles du président  – avait profondément troublé et affaibli la mobilisation contre la guerre.

Mais en 2005…

En 2005, beaucoup de choses ont changé. Sur le front politique et militaire, la résistance acharnée de la population irakienne donne la mesure de l’impasse dans laquelle se trouve Washington. Cela se combine avec les décès quotidiens de jeunes soldats étasuniens en Irak. Durant l’été, le médiatique siège du ranch de Bush au Texas par Cindy Sheenan –  la mère d’un soldat tué en Irak  – a attiré l’attention sur cette réalité ainsi que sur le mouvement d’opposition croissant à la guerre parmi les familles de soldats, ainsi que parmi certains militaires eux-mêmes. S’ajoutent un nombre de plus en plus élevé de blessés de guerre, dont le Pentagone essaie de minimiser les chiffres, et le “blues” de milliers de vétérans d’Irak, peu enthousiastes à endosser les oripeaux des héros.

Sur le front interne, la “guerre aux pauvres”, selon les termes même du Wall Street Journal, suscite un mécontentement grandissant. La catastrophe (si peu) naturelle de la Nouvelle-Orléans –  avec les révélations au sujet de l’amputation des moyens de l’agence nationale de lutte contre les catastrophes suite à son intégration à la sécurité nationale, comme du fait que tous les moyens amphibies de la Louisiane se trouvent dans… les sables d’Irak  – a fait office de révélateur. Bush chute dans les sondages ; le mouvement anti-guerre reprend de l’ampleur. Nous reviendrons ultérieurement sur les débats qui le traversent.

Des voix contre l’occupation

Nous publions ci-dessous des extraits d’un reportage parmi les manifestant·e·s de Washington –  parmi lesquels on reconnaissait, mesure de l’ampleur de la mobilisation, le révérend Jesse Jackson, l’ancien ministre de la justice Ramsey Clark ou encore l’actrice Jessica Lange  – publié dans Socialist Worker (30 septembre 2005), l’hebdomadaire de la principale organisation socialiste révolutionnaire des Etats-Unis, l’International Socialist Organisation. Ces témoignages donnent la mesure de l’opposition croissante à la guerre parmi l’opinion publique. Militants de la première heure, vétérans du Vietnam, syndicalistes mais aussi des milliers d’étudiants étaient dans la rue pour dénoncer l’occupation de l’Irak. Avec tous, en tête ou dans leurs slogans et pancartes, le scandale de la catastrophe qui a suivi l’ouragan Katrina dans la région de la Nouvelle-Orléans.

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Suheir Hammad est une militante et poétesse d’origine palestinienne: “Les ressources qui sont utilisées pour financer les guerres impériales illégales sont prélevées sur celles qui seraient nécessaires à notre véritable sécurité nationale. Une sécurité qui inclut la formation, la santé mais aussi les digues, les plans d’évacuation en cas de catastrophe et les autres moyens nécessaires pour prendre soin de la population. Notre première revendication est que les soldats reviennent à la maison, parce que c’est ce qui est le plus proche du cœur. Mais nous devons faire le lien entre ce qui se passe en Irak et la présence américaine en Afghanistan, à travers toute l’Amérique du Sud et avec le soutien de l’administration Bush à Israël. Tout cela est lié à la question de l’utilisation de nos ressources, à ce qu’elles financent ou ne financent pas.”

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Le révérend Graylan Hagler (président du ministère pour la justice raciale, sociale et économique) souligne la dimension raciste commune à l’occupation de l’Irak et à la catastrophe de la Nouvelle-Orléans: “Notre politique intérieure et notre politique extérieure sont les données d’une équation raciste: notre armée se bat contre des gens qui ne sont pas blancs en Irak et abandonne des gens qui ne sont pas blancs dans les Etats du Sud.”

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La marée de pancartes faisait entendre la colère que beaucoup attendaient de pouvoir enfin exprimer lors d’une manifestation nationale, deux ans et demi après l’invasion de l’Irak. Un des slogans les plus répandus était “Faites des digues, pas la guerre”, soulignant les priorités perverties de l’administration Bush, si prompte à faire la guerre en Irak mais si lente à répondre à la catastrophe de la Nouvelle-Orléans, dont les principales victimes étaient pauvres et noires.

C’est aussi le message de Lester Perryman, étudiant à l’Université de la Nouvelle-Orléans, qui portait la banderole d’une organisation d’étudiants contre la guerre “College not combat”. “L’ouragan a provoqué un véritable désastre. C’est vraiment triste que notre gouvernement parvienne à envoyer des troupes en Irak en 24 heures alors que nous avons dû attendre 3 jours après l’ouragan pour recevoir une aide adéquate.” Lester, qui a été transféré à l’Université de New York, ajoute: “Le président déclare qu’il veut accroître la sécurité intérieure et nous protéger. De l’argent avait été mis de côté pour réparer des digues endommagées. Au lieu de cela, l’argent a été détourné pour la guerre en Irak.”

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Plus de 1000 étudiants, venant de douzaines de campus, se sont rejoints pour manifester sous la bannière de “College not Combat”. Leur slogan était “de l’aide sociale, pas la guerre”. Parmi eux, Leela Yellesetty de l’Université publique de New Haven (Sud Connecticut): “Nous sommes là pour reconstruire le mouvement des étudiants contre la guerre. Nous nous sommes organisés contre le recrutement de l’armée sur notre campus à New Haven et nous avons chassé les recruteurs à chaque occasion. C’est un véritable enjeu puisque l’armée a beaucoup de peine à recruter. Ils essaient de dire aux jeunes que s’ils ne peuvent pas se payer l’Université ils devraient rejoindre l’armée. Mais cet argument ne prend pas.”

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Certains étudiants sont arrivés à Washington directement depuis le Sud, où ils s’étaient rendus pour participer aux opérations d’aide et d’assistance auto-organisées. Ainsi, Adam Porto, étudiant de première année à l’Université de Wisconsin-Madison: “Au début nous voulions nous rendre à la Nouvelle-Orléans après le passage de Katrina, mais nous avons été stoppés par l’arrivée de Rita, le deuxième ouragan. Nous nous sommes donc rendus à Jackson (Mississipi) pour acheminer des provisions au quartier général de la “National Association for the Advancement of Colored People” [une des plus anciennes associations luttant pour les droits civiques des Noirs aux Etats-Unis] et les aider à organiser la distribution de provisions.”

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Elizabeth Wrigley-Field, membre de “College not Combat” de New York, souligne l’importance du renouveau de la participation des étudiants au mouvement anti-guerre: “Je pense que les étudiants qui sont venus aujourd’hui l’ont fait d’une manière sincère et dans une mesure jamais atteinte avant. De voir autant d’étudiants d’écoles différentes manifester ensemble nous a donné l’impression d’un véritable mouvement national des étudiants contre la guerre. Cela doit s’approfondir. Notre génération est au cœur des préoccupations de l’armée et de ses recruteurs. Nous devons y répondre en étant à la tête du mouvement anti-guerre.”

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Alors qu’elle demandait de l’aide pour porter les photos des plus de 1900 militaires morts en Irak, Maureen Green explique qu’”ayant perdu un membre de ma famille le 11 septembre, je suis choquée que Bush ait utilisé le sursaut de patriotisme, nous ait manipulés et trompés pour partir en guerre contre l’Irak.”

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De nombreux vétérans du Vietnam sont présents dans chacune des manifestations anti-guerre, comme Gene Tebo venu de Detroit. “J’ai été un soldat appelé à servir au Vietnam en 1966. Je viens de me rendre au mémorial de la guerre du Vietnam [à proximité du lieu des manifestations anti-guerre à Washington]. Dix personnes que je connaissais personnellement ont été tuées au Vietnam. Ce genre de manifestation montre que le roi est véritablement nu. Je ressens cela comme un véritable honneur de prendre part à un mouvement qui, en fin de compte, fera peut-être une petite différence pour quelqu’un d’autre.”

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Certaines organisations syndicales étaient également présentes à Washington, notamment celles représentées par la coalition “US Labor Against War”. Nancy Wohlforth, membre de la direction de l’AFL-CIO [organisation faîtière des syndicats américains, qui vient de subir une importante scission] a déclaré lors de son discours: “C’est une occasion historique pour le mouvement ouvrier de faire front commun contre la guerre et les mensonges de l’administration Bush. Cette administration se fout de ce qui arrive à la population de la Nouvelle-Orléans, mais nous, le mouvement ouvrier, nous faisons l’impossible pour que l’argent, la formation, la reconstruction aillent à la population de la Nouvelle-Orléans et non à Halliburton. Devinez qui a eu le premier contrat pour aider à la reconstruction de la Nouvelle-Orléans? Halliburton ! Et devinez qui pille l’Irak et ses ressources ? Halliburton !”

 

 
         
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