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FSM 2006
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Oui, le socialisme !

Paolo Gilardi

«Trop politisé et inféodé au régime de Chavez». C’est ce que, de Le Monde à Le Matin, a écrit la presse unanime [1] à propos du sixième forum social mondial qui s’est tenu à Caracas du 24 au 29 janvier. Elle n’en disait pourtant pas tant lorsque, il y un an, c’était un autre président, celui du Brésil (Lula) qui rendait visite au FSM à Porto Alegre, juste avant de s’envoler pour Davos. A l’époque, le geste n’avait suscité qu’approbation enthousiaste de la part des médias tant il était le symbole d’une «raisonnable modération», de la «recherche de consensus» !

Au travers du traitement médiatique, ce sont les contenus mêmes des deux Forums qui apparaissent. Il y a un an, à Porto Alegre, peu nombreuses avaient été les discussions sur les perspectives politiques, sur les formes et les moyens de construire l’autre monde possible. C’était plutôt d’un autre possible dans le monde tel qu’il est qu’on discutait, avec comparaison d’expériences entre ONG, mise en commun de stratégies de lobbying, échanges d’adresses électroniques…

Et la politique ? Elle n’avait eu que peu de place, tant l’horizon semblait se réduire avec la supposée «fin de l’histoire».

Rien de tel, cette année à Caracas. C’est des contours de cet autre monde possible que des milliers de personnes ont discuté durant des heures et des heures. C’est des moyens pour y parvenir qu’on a aussi débattu. Ce sont les expériences de mobilisation et de lutte qu’on a échangées: celles des habitants de El Alto, en Bolivie, celles des travailleurs du pétrole au Venezuela, des conducteurs de locomotives en Argentine…

C’est autour de l’articulation entre les programmes sociaux visant à redonner une dignité aux habitant·e·s des barrios et le contrôle ouvrier sur la production et la distribution des richesses que se sont confrontés autour de mêmes tables, professeurs d’université, syndicalistes, opérateurs sociaux et militants ouvriers ou campesinos…

Durant quatre jours, enseignants canadiens, jeunes étasuniens et militants pales­tiniens ont débattu de la nécessité d’établir des liens entre une posture anti-impérialiste et la lutte contre la guerre sociale que l’impérialisme mène contre ses «propres» pauvres.

Oui, au grand dam de certains, c’est de politique qu’on a parlé à Caracas ! Pour reprendre les termes de Nora Ciapponi, militante historique de la gauche radicale latino-américaine, «c’est des conditions de l’émancipation humaine que l’on est en train de discuter ici !». Excusez du peu…

Que s’est-il passé d’un FSM à l’autre ? Magie des Caraïbes ou accélération d’un certain nombre de processus ? Trois éléments sont à prendre en considération.

L’appel lancé il y a un an à Porto Alegre par Hugo Chavez, et réitéré le premier 1er mai, à construire «le socialisme du XXIe siècle» a levé un tabou. Comme l’explique Americo Tabata en page 12 de cette édition, indépendamment de ce qu’est le socialisme imaginé par le président vénézuélien, sa proposition a le mérite d’avoir ouvert parmi de larges couches de la population une discussion sur le socialisme comme issue à la crise du capitalisme.

C’est cette discussion qui a commencé à Caracas: elle n’a pas escamoté la critique radicale des expériences faites au nom du socialisme au cours du siècle passé. Cette discussion doit se poursuivre, au-delà de Caracas. Elle se fonde aussi –  et c’est le deuxième élément fondamental pour comprendre  – sur l’émergence d’un sujet social capable de postuler dans les faits à la construction du socialisme.

Au Venezuela, ce sont les travailleurs industriels, notamment ceux du secteur pétrolier, qui ont mis en échec le coup d’Etat de 2002 dirigé contre Chavez. Dans les quelques usines expropriées, ce sont eux qui prennent en main les choses, qui commencent à produire en fonction des besoins, qui organisent la distribution selon des critères sociaux. Ils commencent à dessiner les contours d’un autre monde possible, libéré de la dictature du profit.

Et en Bolivie, les cocaleros qui ont chassé deux présidents et empêché la privatisation de l’eau, sont d’anciens mineurs ou leurs descendants, ceux des insurrections des années 1960. Ce sont eux qui exigent la nationalisation des hydrocarbures, qui œuvrent à la construction, à travers des assemblées populaires, du poder popular.

C’est un  sujet social connu qui refait surface: le prolétariat. Il renaît là où on ne l’attendait plus, dans des pays à la déliquescence sociale avancée. Il apprend de nouveau à changer le cours des choses.

Et il a –  c’est le troisième élément pour comprendre la politisation de ce FSM  – touché aussi le cœur du mouvement altermondialiste. Il représente en effet l’espoir, après que les gouvernements qu’une partie de ce mouvement considérait «amis» (ceux «du Sud», de l’Inde et du Brésil) aient assuré la réussite de la conférence de l’OMC à Hong Kong en décembre dernier ; l’espoir aussi face à l’occupation militaire de la première république noire d’Amérique, Haïti, par les troupes de Lula.

Aussi ténu soit-il, cet espoir doit être cultivé. Car il est condition indispensable de l’autre monde possible, le socialisme.


1. Il est par ailleurs cocasse de relever que des représentants de la corporation des plumitifs ont interpellé l’auteur de ces lignes sur «l’échec et la récupération du FSM», une première fois le 20 janvier, une deuxième  le 22 et enfin, par un journaliste du Temps, le 23, alors que le Forum ne commençait que le… 24. Mais puisqu’on leur avait dit d’écrire sur «l’échec et la récupération du Forum»…

 

 
         
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