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L’offensive bourgeoise marque des points

Sous des apparences anodines, la droite propose des changements qui peuvent gravement amputer la capacité d’agir des associations écologistes. Etat des lieux avant d’esquisser, dans le prochain numéro de La brèche, des alternatives.

Urs Zuppinger

En réponse à une initiative parlementaire de l’UDC Hans Hofmann (cf. La brèche N°5), la commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a concocté l’automne dernier une série de modifications de la loi fédérale sur la protection de l’environnement (LPE) et de la loi sur la protection de la nature et du paysage (LPNP), mises en consultation jusqu’au 28 février 2005. Parallèlement, l’affaire Galmiz (cf. ci-dessous) a fait la une des médias. Ce sont deux jalons qui permettent d’appréhender les nouvelles tendances qui se profilent sur le front de la protection de l’environnement.

Recentrage dicté par l’économie

L’esprit et les buts des propositions de modifications du cadre légal ressortent clairement du commentaire de la commission: «Le droit actuel présente des lacunes» qu’il faut combler, «car il permet des abus qui n’ont pas été voulus par le législateur». Les modifications du cadre légal de l’étude d’impact sur l’environnement (la fameuse EIE) «devraient permettre d’accélérer et de simplifier les procédures». «Il règne actuellement un manque de transparence à propos des organisations habilitées à recourir», auquel il faut remédier. C’est la reprise du discours de l’officine patronale Avenir Suisse.

Une solution… et ses pièges

Mais la commission préconise de surcroît une réorientation de fond. A l’avenir, les problèmes de protection de l’environnement devraient être résolus en premier lieu au niveau de l’aménagement du territoire.

Selon la législation en vigueur, l’impact sur l’environnement est évalué lorsqu’un projet de construction est déposé en vue de l’obtention d’une autorisation de bâtir. C’est tardif, mais raisonnable à bien des égards: beaucoup de nuisances ne peuvent être identifiées qu’à ce stade. Estimant que les conditions à respecter du point de vue de la protection de l’environnement doivent être définies au niveau de l’aménagement du territoire, la commission des affaires juridiques a adopté une motion dans ce sens adressée au Conseil fédéral.

Dans une société où l’initiative privée est reine, l’aménagement du territoire ne définit que des droits de bâtir. Or l’impact sur l’environnement d’une modification de l’utilisation du sol ne dépend pas seulement du droit, mais aussi et surtout de la manière avec laquelle celui-ci est exploité par les promoteurs.

Les milieux de l’économie veulent en réalité profiter de cette indétermination pour se libérer du carcan normatif de la législation sur la protection de l’environnement, en valorisant le domaine tellement plus facilement maniable de l’aménagement du territoire. A ce niveau, la recherche de solutions est en effet régie par le principe flou de la «pesée des intérêts». La propriété privée du sol est aux commandes et les autorités ne peuvent échapper aux pièges de la concurrence intercommunale et intercantonale. L’affaire de Galmiz le montre…

De plus, les règles régissant les plans d’urbanisme ne sont pas conçues pour permettre une évaluation de l’impact sur l’environnement. Personne ne sait comment s’y prendre pour qu’une telle évaluation devienne possible. Des années seront donc nécessaires avant que des règles répondant à cette exigence puissent éventuellement entrer en force.

Dès lors, il est inadmissible que le projet de modification de la LPE et de la LPNP mis en consultation propose, comme innovation à court terme, que «si une organisation écologique a omis de formuler des griefs recevables contre un plan d’affectation de caractère décisionnel, ou si ces griefs ont été rejetés définitivement, l’organisation ne doit plus pouvoir le faire dans le cadre d’une procédure ultérieure», telle que, par exemple une procédure d’autorisation de bâtir pour un projet de construction soumis à l’obligation d’effectuer une EIE. De surcroît, la législation sur l’aménagement du territoire ne reconnaît pas, à l’heure actuelle, le droit de recours des organisations écologiques.

Simplifications révélatrices

Les propositions techniques que la commission fait pour accélérer et simplifier les procédures de l’EIE ne devraient pas vraiment porter à conséquences. Son projet comporte cependant trois propositions qui méritent d’être mises en évidence:

• La loi en vigueur stipule que le rapport d’impact doit proposer, au-delà des exigences légales, des mesures permettant de réduire les nuisances «encore davantage». C’est l’unique disposition de la LPE qui oblige les autorités et les constructeurs à aborder les problèmes de protection de l’environnement dans une optique d’optimisation de l’impact. La commission propose de l’abolir.

• La loi actuelle exige que le rapport d’impact au sujet d’une installation publique ou d’une installation privée au bénéfice d’une concession se prononce sur la justification du projet. C’est l’unique disposition de la LPE qui mentionne que certaines nouvelles constructions, pour être licites, doivent correspondre à un besoin socialement reconnu. La commission propose de l’abolir.

• La loi en vigueur attribue au Conseil fédéral la tâche d’établir la liste des installations soumises à étude d’impact. La commission propose d’ajouter la phrase: «Il vérifie périodiquement cette liste ainsi que les valeurs seuils pour l’EIE». Ce complément introduit un levier qui permettra à l’économie d’exercer une pression constante sur l’Etat en vue d’alléger les contraintes légales.

Une opération de domestication

La très grande majorité des modifications légales proposées concerne les «organisations habilitées à recourir». Elles poursuivent deux buts: obliger les organisations écologistes à montrer patte blanche et réduire leur capacité de nuisance.

La législation en vigueur attribue aux organisations écologistes une fonction positive par rapport au but d’assurer la protection de l’environnement. La commission des affaires juridiques du Conseil des Etats estime que ces organisations ont acquis, dans l’accomplissement de cette tâche, un niveau de performance qui nuit à l’économie. Par conséquent, il faut les freiner et renforcer le contrôle étatique sur leurs agissements.

Pour se justifier, la commission invoque le risque d’abus, sans jamais en apporter la preuve. De fait, elle s’appuie sur le climat d’hostilité que les milieux de l’économie et les médias ont suscité en exploitant l’affaire du stade du Hardturm à Zurich (voir La brèche No 5).

Un défi à relever

La majorité bourgeoise de ce pays avance ses pions pour édulcorer la politique fédérale de protection de l’environnement. L’apparence anodine des modifications législatives proposées trompe.

Certes, les milieux de la protection de l’environnement ne seront pas bâillonnés en cas d’acceptation de ces propositions par les Chambres. Compte tenu de leurs compétences juridiques et scientifiques, elles ne devraient pas avoir de difficultés d’adaptation au nouveau cadre. La question est plutôt politique: ces organisations adopteront-elles un profil défensif ou une stratégie de contre-offensive? Seule cette seconde option est à même de leur permettre de résister sur la durée à l’offensive bourgeoise. D’autant plus que celle-ci n’est encore que dans une phase préparatoire. Il n’est pas du tout impossible que les débats parlementaires en plénière débouchent sur des attaques bien plus dures.

L’objectif affiché par la commission du Conseil des Etats de revenir à la période d’avant 1985 [1], lorsque la protection de l’environnement relevait en premier lieu de l’aménagement du territoire, a une portée autrement plus grande. Cette option peut avoir des conséquences catastrophiques, si la politique en place dans cet autre domaine de l’action publique reste ce qu’elle est. Et surtout si les milieux de défense de l’environnement et de la gauche progressiste laissent le champ libre à l’économie, et aux forces politiques à sa solde, pour modeler cette politique encore davantage en sa faveur.

Il est indispensable de relever le défi. L’aménagement du territoire souffre de handicaps structurels. Sans ressources et empêtré dans le fédéralisme institutionnel, il a un champ d’intervention sur l’organisation spatiale dont la portée se limite à ce qui relève du contrôle public sur les droits de bâtir des propriétaires privés du sol, ainsi qu’aux équipements complémentaires construits qui incombent aux collectivités publiques. C’est largement insuffisant pour permettre une politique publique au vrai sens du terme. Nous esquisserons une alternative dans le prochain numéro de La brèche.

1. Année de mise en vigueur de la loi fédérale sur la protection de l’environnement.

 

L’affaire de Galmiz

Urs Zuppinger

En aménagement du territoire, la création d’une zone à bâtir est subordonnée en Suisse, depuis plus de 20 ans, au respect de cinq principes sacro-saints:
• La décision première relève en principe de l’autorité communale. L’autorité cantonale peut s’en charger si un intérêt supérieur est démontré.
• Il y a obligation d’assurer la participation de la population à la préparation des choix.
• Le sol ne doit pas être gaspillé.
• L’environnement, la nature et le paysage doivent être respectés
• La zone agricole ne doit pas être déclassée sauf si un intérêt supérieur est en jeu et s’il est avéré qu’aucun terrain disponible en zone à bâtir ne répond aux conditions d’aménagement requises.

On peut douter que ces principes suffisent pour garantir un aménagement du territoire de qualité. L’affaire de Galmiz a cependant démontré qu’ils sont immédiatement bafoués, si une multinationale se présente aux portes de la Suisse avec un projet alléchant.

L’automne passé, les médias annoncent qu’une multinationale américaine – dont l’identité n’est toujours pas révélée! – a l’intention de réaliser un programme d’envergure impliquant la création de 1200 emplois et un investissement de départ de 250 millions de francs. Trois pays seraient mis en concurrence: Irlande, Singapour et Suisse. L’entreprise a besoin de 50 ha de terrain. Elle a procédé à une évaluation systématique des possibilités d’implantation en Suisse et elle a retenu trois sites. Deux d’entre eux, situés à Payerne et à Yverdon-les-Bains, sont en zone à bâtir. Le troisième, situé à Galmiz dans le canton de Fribourg, est classé en zone agricole.

Sans hésiter une seconde, les autorités concernées ont conclu qu’il fallait tout faire pour que cette entreprise trouve son bonheur en Suisse. Donc qu’elle puisse avoir le choix entre ces trois sites. Dès lors, l’intérêt supérieur commandait que le site de Galmiz puisse être déclassé en zone à bâtir, par une procédure express. Et tant pis pour les principes sacro-saints de l’aménagement du territoire…

Le dézonage a donc été assumé par l’autorité cantonale fribourgeoise, propriétaire par ailleurs de la majorité des terrains concernés. L’obligation de faire participer la population a été réduite à la portion congrue. L’argument de la lutte contre le gaspillage du sol n’a pas pesé lourd: les terrains de Galmiz se situent en rase campagne. Il en va de même de la protection de l’environnement: une étude a été commanditée, mais on ignore par qui et ses conclusions sont contestées.

Les deux sites vaudois présélectionnés prouvent que des terrains répondant aux conditions d’aménagement requises sont disponibles en zone à bâtir. Malgré cela, une déclaration du Conseil fédéral attestait le 6 décembre 2004 que l’abandon de la zone agricole à Galmiz était conforme au droit. Puis la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage a annoncé qu’elle renonçait à faire opposition, parce que la loi fédérale sur l’aménagement du territoire ne reconnaît pas le droit de recours des associations écologistes.

Fin février, on a appris que la multinationale qui fait chanter le monde politique a abandonné le site de Payerne. Pour le reste, y compris les tractations, parallèles à la recherche d’un site, portant sur des exonérations fiscales: silence. L’inconsistance de l’aménagement du territoire suisse est apparue à cette occasion au grand jour.

 

 
         
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