Chili

La grève de la faim de 34 Mapuches: face une oppression séculaire

Christian Palma *

Au nord du Chili, le gouvernement «sauve» les 33 mineurs bloqués dans la mine San José. Une mine qui n’a pas été entretenue depuis des années, contrairement aux requêtes des expertises effectuées. Les médias internationaux suivent cette opération. Compréhensible.

Par contre, au sud du pays, les 34 prisonniers de l’ethnie Mapuche, historiquement opprimée et discriminée, continuent leur grève de la faim et passent à «une grève sèche», c’est-à-dire sans eau. Dramatique. Le gouvernement de Sebastian Piñera est sourd, aveugle et répressif.

Grève de la faim et politique du gouvernement représentent l’image concentrée d’une tragédie historique vécue par un peuple exproprié de ses terres et sans cesse réprimé. Mais qui relève la tête, souvent.

L’actuelle fête du «Bicentenaire de l’indépendance» du Chili (19 septembre) – qui marque le passage d’une domination à une autre , c’est-à-dire à celle des «colons installés»: blancs – doit être lue à la lumière de cette grève de la faim des militants Mapuche.

Ils sont emprisonnés – prison «provisoire» – selon une loi «antiterroriste». Cette dernière a son histoire, depuis le coup d’Etat de Pinochet, en 1973. Fernando Lira, président de l’association chilienne de défense des droits humains, Liberar, déclarait : « En plus de la loi antiterroriste, il y a une autre législation arbitraire, insolite, dans la justice chilienne qui est la double peine. La plupart de ces Mapuches sont jugés deux fois : par la justice militaire et par la justice civile. Ainsi, si un Mapuche est déclaré coupable par la justice militaire, il peut aussi faire l'objet d'une seconde peine,  prononcée cette fois par la justice civile».

La Coordination des familles des prisonniers Mapuche ne cesse de répéter que le gouvernement et les autorités locales se refusent à les écouter, c’est-à-dire à comprendre les raisons fondamentales, légitimes de leurs actions de récupération de terres ainsi que de leur grève de la faim, déterminée. Une surdité de classe: bicentenaire. (cau)

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Alors qu’une bonne partie de la population chilienne est occupée à se procurer des barbecues, à s’achalander en vin et à remplir les garde-manger en vue de la célébration du prochain bicentenaire de l’indépendance du Chili, la grève de la faim que font 34 prisonniers politiques mapuches depuis deux mois ne faiblit pas. Au contraire, chaque journée est plus dramatique et concerne de nouveaux acteurs. Jeudi 9 septembre, seulement 24 heures avant que le président Sebastian Piñera ne déclare que cette grève constituait un moyen de pression illégitime dans une démocratie et un Etat de droit (sic !), quatre députés de la Commission des Droits Humains ont crée la surprise en rejoignant cette protestation radicale.

A l’occasion d’une visite de la prison de Temuco, les parlementaires d’opposition – Tucapel Jimenez (PPD), Hugo Gutiérrez (PC) et les socialistes Sergio Aquilo et Manuel Monsalve – ont décidé de se joindre au jeûne, et ce précisément le jour où le gouvernement a envoyé au Congrès un projet de modification de la loi antiterroriste. Cette situation a entraîné leur expulsion de la maison d’arrêt par des fonctionnaires de la gendarmerie. Les parlementaires ont cependant décidé de continuer la grève de la faim.

Visiblement gêné par cette situation, Piñera a réitéré hier (10 septembre) sa condamnation de la position des quatre législateurs: «Je trouve que c’est une attitude irresponsable et qu’elle n’apporte aucune solution au problème. J’espère qu’ils agiront comme des députés de la République».

Piñera a en outre insisté sur le fait que son gouvernement fera tous les efforts pour éviter une détérioration majeure de l’état de santé des militants concernés: «Le gouvernement a déjà pris des mesures prévoyant des recours de protection devant la Justice pour protéger et sauvegarder ces vies. En tant que président, je ne vais pas permettre qu’un Chilien meure de faim... Avec la même énergie que nous avons mis à lutter pour maintenir en vie les 33 mineurs prisonniers dans les profondeurs de la montagne, nous allons agir pour protéger et sauvegarder l’intégrité physique et la vie de tous les Chiliens, y compris des activistes qui sont en grève».

Il a ajouté que la solution se trouvait entre leurs propres mains, car en arrêtant la grève «les portes du dialogue s’ouvriraient».

Cependant deux des activistes Mapuche ont dû être transférés dans un centre d’assistance médicale hier. Il s’agit de Elvis Millan, qui s’est lui-même infligé des blessures pendant son séjour en prison de Temuco et de Pedro Cheuque, qui a souffert d’une décompensation.

Après avoir pris note de l’état des militants, le ministre de la Santé Jaime Mañalich s’est rendu dans la ville de Nueva Imperial, où il a parcouru les installations du secteur Mapuche et rencontré les conseillers, les lonkos (chef de communauté) et les machis (dirigeants spirituels), qui ont accepté à la demande du ministre d’utiliser leur médecine au cas où les militants subiraient une détérioration de leur état nécessitant leur internement. Au cours de son séjour dans le sud du pays, Mañalich a déclaré: «Perdre la vie d’un de ces militants serait un événement extraordinairement douloureux».

Pourtant, la question continue à gagner en importance, et non seulement à échelle locale. Hier un groupe de membres du Parlement européen a envoyé une lettre à Piñera dans laquelle il somme le gouvernement chilien d’apporter immédiatement une solution à la situation.

Les eurodéputés y expriment leur préoccupation au sujet de «la santé et la vie» des grévistes et ils affirment que cette grève constitue «un cri désespéré pour attirer l’attention sur une situation intolérable et contraire aux Conventions internationales en matière des droits humains».

Etant donné cette situation, ils ont demandé au gouvernement de mettre sur pied une table de dialogue pour entendre les revendications du peuple Mapuche, de démilitariser les régions où ils vivent et de s’abstenir de mesures répressives à leur encontre. Il faut ajouter à cela l’action des manifestants qui, pour la deuxième fois, ont occupé l’Ambassade du Chili en Belgique en solidarité avec les indigènes.

Pour l’administration de Piñera, l’option du dialogue reste écartée tant que les Mapuche n’abandonnent pas leur «position radicale». Pour les militants, le gouvernement doit accepter les points suivants pour qu’ils acceptent de mettre un terme à leur jeûne: abandonner les doubles peines – civiles et militaires – qui frappent les Mapuche, ne plus appliquer la loi antiterroriste contre les indigènes détenus pour des participations à des protestations sociales et réforme de la Justice militaire de manière à ce que les Mapuche aient accès à la justice ordinaire, avec toutes les garanties de procédure.

Le président de la Conférence Episcopale, Monseigneur Alejandro Goic, a assuré que jusqu’à maintenant les autorités n’ont pas demandé une «table de dialogue» ayant trait conflit Mapuche. «Cela a été quelque peu unilatéral» a-t-il déclaré, avant d’ajouter: «un des piliers de ce gouvernement est le thème de la sécurité, le combat contre la délinquance, mais je crois qu’il y a d’autres connotations qu’il faut prendre en considération, car notre société est pluriculturelle, et ceci n’a pas toujours été compris. Il faut respecter les cultures, les différences de chaque peuple. Je réitère mon appel aux militants pour qu’ils abandonnent la grève et aux autorités pour qu’elles cherchent des gestes concrets, que nous cherchions une issue à ce problème ponctuel». (Traduction A l'Encontre)

* Ecrit depuis Santiago (Chili) pour le quotidien de Buenos Aires, Pagina 12 du 11 septembre 2010.

(20 septembre 2010)


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