Chine-Afrique

Un exemple de «coopération Sud-Sud»

André Brett *

Depuis une quarantaine d’années, la République Populaire de Chine (RPC) est présente en Afrique subsaharienne; et ce dans des pays de plus en plus nombreux. Cette «assistance» a été marquée, dans un premier temps, par l’offre de construction de Palais des Congrès et de stades à des conditions économiques très favorables ou sous forme de dons.

De plus, la RPC manifestait, dans les années 1960-1970, un appui aux Etats-Unis face à l’URSS dans le continent africain, ce qui sera un des éléments lui permettant de récupérer le siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU en 1971, siège occupé alors par Taïwan.

Peu à peu, cette présence chinoise s’est renforcée. Les visites récentes d’Hu Jintao, le président de la RPC, en Afrique le confirment, au même titre que les réunions du Forum bilatéral de discussion sino-africain (FOCSA).

Taïwan a perdu, dans ce laps de temps, des alliés décisifs, dont l’Afrique du Sud (1998) et le Sénégal (2005). Parmi les «partenaires» les plus importants, aujourd’hui, de la Chine en Afrique on compte l’Afrique du Sud, l’Angola, le Nigeria, le Soudan, l’Egypte et l’Algérie. Mais l’avance dans d’autres pays s’effectue, pas à pas.

Elle se concrétise dans tous les domaines. L’importation de produits chinois, importés ou importés puis montés dans le pays, y compris en utilisant la contrefaçon. Ils envahissent le marché. Souvent ils échappent aux taxes douanières, ce qui renforce le dumping. Des produits tels que des pagnes sont importés et/ou produits (Côte d’Ivoire). Ces importations provoquent la disparition de nombreuses activités locales devenues «non concurrentielles»- Pire, parfois les médicaments sont frelatés et toxiques.

L’essentiel des relations commerciales concerne, certes, les exportations de matières premières des pays africains vers la Chine. Ce qui augmente la dépendance des Etats africains envers la RPC. Cette dépendance est centrée sur les hydrocarbures et les matières premières, ce qui renforce le profil mono-exportateur de l’économie de nombreux pays du continent.

Cet attrait pour la terre, le pétrole (hydrocarbures) ou les produits miniers conforte les initiatives des firmes de la RPC dans les mines, les travaux infrastructures (routes, barrages, aéroports, usines diverses, prospection et raffinage, etc.).

Cette présence chinoise tous azimuts se manifeste aussi sous la forme d’un un accroissement exponentiel «d’expatriés chinois», on parle actuellement de quelque 500’000 Chinois en Afrique. Certains auteurs énoncent le chiffre de 750'000 [1]. Alors que le nombre de citoyens français – ayez en mémoire la France-Afrique coloniale – est estimé à quelque 100'000 ! Cela donne la mesure.

Cet article – fruit d’une expérience personnelle sur le terrain – essaie de présenter, à partir d'un exemple concret, cette implantation de la RPC dans un pays d’Afrique Centrale. En effet, j’ai participé, en qualité de responsable d’une mission de contrôle, à un chantier de construction d’une usine en Afrique Centrale.

Aide ou commerce

Le terme «coopération Sud-Sud» fait allusion dans la perception de l’opinion à une «aide au développement». Or la situation est loin de correspondre à cette perception.

Dans l’exemple qui nous concerne, le marché signé pour la construction de l’usine répondait à une demande du Gouvernement local pour bâtir une usine; projet déjà étudié il y a quelques années par une entreprise européenne. Cette dernière avait conclu à une rentabilité insuffisante d’une telle usine.

L’entreprise chinoise en charge de la construction a signé, elle, un contrat avec le Gouvernement local pour la construction de cette usine, sans autres motifs que commerciaux et/ou d’implantation dans le pays, relativement «nouveau» pour la RPC, un pays qui dispose de certaines réserves d’hydrocarbures.

Ce marché a été passé sans étude sérieuse de faisabilité justifiant la rentabilité de l’investissement, ni étude environnementale un peu solide. Le marché tel que conçu par l’entreprise, appuyée par l’Ambassade de Chine, est conçu de telle manière que, dans la pratique, il ne donne aucune garantie au Gouvernement du pays. Prétendument établi sur la base des conditions en vigueur à l’échelle internationale, soin a été pris dans ce marché de supprimer toutes les clauses contraignantes pour l’entreprise chinoise.

Les clauses de garantie, normales pour de tels investissements, ont été supprimées. Les normes formellement en vigueur dans le pays ont été remplacées par des normes chinoises, dont personne ne connaît le contenu exact. En effet, elles ne sont traduites ni en français, langue officielle du pays, ni en anglais. Ces normes sont en général moins contraignantes que les normes d’origine européennes, censées être appliquées dans le pays concerné. Pratiquement l’entreprise adjudicataire du marché peut faire ce qu’elle veut, sans conséquence fâcheuse pour elle en cas de malfaçon.

De plus, l’investissement est réalisé sur la base d’un prêt de la China l’Eximbank (Export-Import Bank of China) à un taux d’intérêt de 8%.

A cela s’ajoute le fait que l’exploitation de l’usine, pendant 5 ans, se fera par un consortium liant l’Etat du pays concerné à l’entreprise en charge de la construction. Cette usine étant la première du pays dans le domaine industriel concerné, la Chine se trouvera en position de force. Ce qui se traduit déjà dans les faits, puisque l’entreprise est en train de négocier une deuxième usine.

Dans le cadre de la prétendue «coopération Sud-Sud», on était en droit d’espérer une «passation honnête» de ce marché. Toutefois, les pratiques de corruption en vigueur font que des commissions, estimées à 10% du marché, alimenteront les caisses personnelles des responsables du pays concerné, et cela au plus haut niveau. Ce type de marché ne fait que renforcer les élites corrompues en place, but principal de ce type d’investissement dont l’utilité n’est pas démontrée. Et aussi d’endetter le pays, donc de ses populations; tout en laissant croire à une politique efficace de développement.

En fait, pour le pouvoir de la RPC, le but de ce type d’investissement, à charge de l’Etat local, outre le paiement des intérêts, lui permet de s’implanter dans toutes les activités locales et d’occuper le terrain à des conditions qui paraissent meilleures et moins contraignantes que celles de ses concurrents européens.

Cet investissement lui garantit des revenus complémentaires par la fourniture des pièces de rechanges et de différents intrants nécessaires au fonctionnement de l’usine, etc. La présence à moyen terme de techniciens chinois pour l’exploitation de l’usine permet en outre une présence locale pérenne de techniciens, ce qui consolide l’implantation de la RPC et de ses firmes dans le pays. La figure de «prédateur» se consolide donc. Et ce ne sont pas les tentatives de pays africains de jouer la concurrence entre Chine et Inde, lors des adjudications, qui vont changer cette donnée de plus en plus ressentie; au pire cette «figure» et la réalité à laquelle elle renvoie en sortiront renforcées.

Des pratiques «néo-coloniales»

La pratique de l’entreprise, que j’ai aussi pu constater sur d’autres chantiers d’entreprises chinoises dans d’autres pays du continent, consiste à n’employer pratiquement que de la main-d’œuvre importée de Chine, y compris pour certains emplois qui pourraient être réservés, sans difficultés, à des travailleurs d’origine locale.

Seuls les ouvriers non qualifiés sont recrutés sur place, soit environ 25% du total du personnel. La main-d’œuvre chinoise vit sur le chantier dans son camp et n’a pratiquement pas de contact avec la population. Elle vit en vase clos. Elle est «gérée» selon les réglementations en vigueur en Chine, c’est-à-dire : travail 7 jours sur 7, sans vacances, à l’exception des cadres.

La main-d’œuvre locale est en principe «gérée» en conformité avec la réglementation du travail du pays hôte, mais rarement respectée dans tous ses aspects. L’emploi de main-d’œuvre temporaire est systématique. Cela permet de détourner la législation au profit de l’entreprise : ouvriers non assurés, sécurité mal respectée ou pas du tout, salaire minimum inexistant.

Cette pratique est très mal perçue par la population locale qui a conscience que ses droits sont bafoués et à conscience d’un retour à des «conditions de travail coloniales». Conséquence : un début de contestation. Elle est vite anéantie avec la complicité des autorités locales. Tout cela accroît les mécanismes de corruption des fonctionnaires locaux «utiles» afin de résoudre tous «les problèmes» propres à l’utilisation de cette main-d'œuvre.

En général, les contacts avec les populations locales sont inexistants et l’entreprise fait tout pour les prévenir. Les retombées pour les populations vivant au voisinage du chantier sont des plus réduites. Elles se limitent à l’achat de quelques produits frais de subsistance. Les autres produits – de tous types – sont importés de Chine. Il serait intéressant de connaître la part des importations des pays du continent africain qui relève de l’approvisionnement des entreprises chinoises, soit déjà implantées, soit de celles effectuant de grands travaux, et surtout leur croissance au cours des derniers dix ans. Mais, l’obscurité comptable des opérations fait qu’une statistique un peu fiable est impossible.

Conclusion, l’entreprise chinoise vit et travaille en vase clos, les retombées pour les populations locales sont minimales, la formation professionnelle des ouvriers locaux, que l’on pourrait espérer d’un projet dit de coopération, est inexistante.

La Chine par ces pratiques s’assure par ses prix inférieurs à ses concurrents internationaux une place de plus en plus importante dans l’économie du pays hôte, et conforte sa position vis-à-vis des élites locales, seules bénéficiaires directes de ce type de marché.

* L’auteur, connu de la rédaction, dispose d’une vaste expérience de travail, depuis plus de trente ans, dans le continent africain (Rédaction A l’Encontre)

1. Chaponnière J.R. «Un demi-siècle de relations Chine Afrique», in Afrique contemporaine, N° 228, 2009, p. 35-48.

(15 novembre 2010)


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