France

Face à la casse sociale: la révolte de Châtellerault

La crise qui frappe de plein fouet le secteur de l’automobile se répercute le plus directement chez les sous-traitants. Toutefois, il faut avoir à l’esprit que le secteur automobile, au sens de la production et la vente d’automobiles, inclut quelque 23 secteurs dans les économies développées. Cela va de l’acier, de l’aluminium à la publicité et aux arts graphiques.

Pour «amortir les effets» de cette crise et pour soutenir les détenteurs du capital d’une industrie déjà très concentrée – et qui ira vers une nouvelle vague de concentrations – divers gouvernements européens ont choisi la politique des primes à la casse afin de relancer la demande. C’est un soutien momentané. Une fois le financement de ces primes à la casse terminé, la chute de la production est très rapide. Elle le sera plus que par le passé, où l’on a déjà connu, en France, des primes appelées «balladurettes» et «jupettes» (référence à Edouard Balladur et à Alain Juppé).

La crise du secteur automobile pose, de fait, la question de la propriété privée et des décisions qui en découlent et, conjointement, celle des transports publics et de leurs modalités. Les batailles pour l’emploi devraient dès lors chercher à se combiner avec une bataille pour une autre production dans un autre but. Autrement dit, revient à l’ordre du jour un thème des années 1970, certes dans un contexte social et politique différent: que produire, comment produire, avec quelles finalités ? Les primes à la casse illustrent à quel point l’Etat des capitalistes peut financer une production marchande, dans le but conjoncturel de limiter la chute des profits, mais fait l’impasse sur le financement des infrastructures sociales. La réaction des travailleurs de New Fabris à Châtellerault (France) exprime, de manière condensée, la «rage sociale» face aux fermetures d’entreprises, aux licenciements. L’usine New Fabris – qui est un sous-traitant de PSA (Peugeot Citroën) – a été mise en liquidation judiciaire le 16 juin 2009. Renault était aussi un donneur d’ordres.

Ces travailleurs réclament une prime de 30'000 euros pour chacun des 366 salariés licenciés. Ils parlent de «prime de bons et loyaux services». Elle leur a été refusée. Ils ont organisé des délégations vers l’usine du constructeur PSA à Poissy (dans les Yvelines). Maintenant, ils menacent de faire sauter l’usine. La presse internationale multiplie les articles. C’est le cas de l’hebdomadaire américain «Time» dont le journaliste décrit, avec frissons («les ouvriers français font les pires choses»), la détermination des travailleurs. Il rapporte leurs paroles: «Nous n’allons pas être jetés comme de vulgaires objets.» Puis, l’ouvrier lui indique que l’ultimatum court jusqu’au 31 juillet. Le journaliste du fort conservateur «Times» regrette le manque de détermination du gouvernement français. De fait, il espère qu’il n’en aille pas de même aux Etats-Unis, où une grande partie des travailleuses et travailleurs de l’automobile sont mis à la casse. En Allemagne, le quotidien tout aussi conservateur «FAZ» (Frankfurter Allgemeine Zeitung) dénonce dans son édition du 14 juillet l’attitude du gouvernement français qui n’a pas envoyé les forces de police pour déloger les salariés. La «FAZ» demande aussi que Renault et PSA manifestent leur fermeté, eux qui ont reçu des aides de l’Etat. L’industrie automobile allemande est aussi en pleine crise. Le gouvernement allemand, le patronat et les sommets syndicaux ne veulent pas que «l’exemple français» ait une audience.

Or, non seulement les travailleurs de New Fabris sont dans leur droit, eux qui ont en moyenne travaillé 25 ans dans cette usine, mais ils sont aussi conscients de la politique des équipementiers. Ainsi, l’important équipementier Valeo, en décembre 2008, a licencié en masse. Dès qu’une petite reprise a eu lieu, sous l’effet des primes à la casse, Valeo a eu recours sur certains sites de production à des intérimaires et a utilisé des heures supplémentaires.

Nous publions ci-dessous un article paru dans le quotidien L’Humanité (13.07.2009) ; une note parue dans le quotidien financier Les Echos (13.07.2009) ; un entretien avec un représentant du bureau de conseil aux comités d’entreprise (SECAFI) sur les licenciements à venir paru dans Libération (14.07.2009). (Réd.)

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«En terres brûlées»

Tout va très bien, monsieur le président. Quand fin mars Nicolas Sarkozy est venu à Châtellerault (Vienne) soliloquer sur les «mesures prises par le gouvernement pour faire face à la crise», les milliers de manifestants ont été tenus à bonne distance et, parmi eux, les centaines de métallos de Fabris, l’équipementier appartenant, comme la SBFM et les fonderies Rencast, au petit conglomérat italien Zen, alors placé en redressement judiciaire, ont fini dispersés préventivement à coups de gaz lacrymogène. Le 2 juillet dernier, quelques jours à peine après sa désignation au poste de commissaire régional à la réindustrialisation, Stéphan de Bossoreille de Ribou visite les bâtiments de ce sous-traitant de Renault et PSA, mis en liquidation judiciaire mi-juin. Climat cordial: «ni cris, ni sifflets, ni injures», rapporte le quotidien local et, de son côté, le représentant du gouvernement fait mine de ne pas voir une des machines livrée aux flammes à l’entrée de l’usine.

Depuis cinq semaines bientôt, entre 150 et 200 ouvriers (sur 366 au total) continuent d’occuper leur ancienne boîte. Jour et nuit, ils se relaient en équipes, comme quand ils travaillaient dans un raffut de tous les diables. Aujourd’hui, ils tuent le temps en silence, un calme rompu parfois par une exclamation de victoire à la belote ou un toast à l’apéro. Dans les allées de leur usine assoupie, des ombres déambulent à pas lents autour de leur «trésor de guerre», un stock de plus de 50 000 collecteurs d’échappement destinés à Renault et à PSA que les salariés en lutte veulent monnayer contre une prime «supralégale» de 30 000 euros par tête de pipe. Et à la nuit tombée, quand le noir broie tout sur la zone industrielle, des bûcherons amateurs abattent les peupliers un par un, à la lisière de l’usine. D’autres installent théâtralement des bombonnes de gaz sur le toit des bâtiments. Une vieille camionnette taguée de revendications part en fumée sur la pelouse. Mais à part ça, monsieur le président, tout va très bien: jeudi, lors d’une assemblée générale, les salariés ont accepté de repousser au 31 juillet leur ultimatum, initialement fixé au 15 (lire l’Humanité du 10 juillet), et, faute d’accord sur leur revendication, ils pourraient faire sauter leur usine.

Déjà licenciés, pas chômeurs pour la plupart mais «adhérents» du contrat de transition professionnelle (CTP), le dispositif de traitement social du chômage étendu par le gouvernement à certains bassins, comme celui de Châtellerault, particulièrement frappés par la crise, les métallos de Fabris voient l’avenir en gris cendré, forcément. Sur une aire de repos dans les ateliers, un des ouvriers s’indigne: «Tout était prévu. Le 16 juin, on passait au tribunal de commerce pour la liquidation judiciaire et, dès le lendemain, les lettres de licenciement partaient. Là, on nous fout dans le CTP, mais après, on fait quoi ? Ils ne font même pas semblant de nous garantir un emploi dans les douze mois. Ils ont un an pour nous effacer du paysage.» Secrétaire CGT du comité d’entreprise de Fabris, Guy Eyermann lampe son café, et s’étonne: «Même le préfet nous dit que le CTP, c’est juste l’indemnisation un peu meilleure que le chômage. Moi, je vais le signer, ce contrat, parce que, pour critiquer une merde, il vaut mieux avoir les deux pieds dedans… Mais dans un an, ils vont nous entendre quand on n’aura pas de boulot !»

D’ici là, les Fabris tentent d’arracher le principe d’une prime payée par les constructeurs français, PSA et Renault, comme cela a été gagné chez Rencast. «Sarkozy prétend lutter contre la désindustrialisation, observe Christian Paupineau, délégué du personnel CGT et salarié depuis vingt-neuf ans dans l’usine. Mais ce ne sont que des gesticulations: ce qui se passe aujourd’hui dans l’automobile, ça reste largement invisible, mais c’est l’équivalent du démantèlement du textile et de la sidérurgie. On connaît les responsables, ce sont les donneurs d’ordres. PSA et Renault nous ont lâchés malgré la montagne d’argent public qu’ils ont reçue… Alors ils signent des chartes dans lesquelles ils promettent d’aider les équipementiers, mais derrière, ce sont les licenciements qu’ils financent… Et encore, pour nous, ils ne veulent même pas: pendant des années, ils ont piqué les maigres profits qu’on pouvait faire et là, ils font encore la loi, jusque dans notre mise à mort.» Sous couvert d’anonymat, un ancien membre de l’équipe dirigeante de Fabris confie: «Il y avait au moins un candidat à la reprise qui pouvait paraître sérieux, mais les constructeurs ont fait pression pour qu’à la dernière minute il retire son dossier au tribunal. Dans la crise, Renault et PSA sont en train de restructurer tout le secteur des équipementiers ; ils ont droit de vie ou de mort, et ils l’utilisent sans état d’âme… Après nous avoir demandé des rétrocessions de productivité de 3 % par an, ils nous enterrent.»

Victimes de cette politique de la terre brûlée, les 366 salariés de l’équipementier automobile de Châtellerault regardent les rapaces rôder autour de l’usine. Il y a une dizaine de jours, lors d’une manif dans les rues de la sous-préfecture, ils ont découvert, avec stupeur, le prix facturé au client pour l’un des collecteurs qu’ils fabriquaient: 265 euros. Mains sur les cageots de pièces usinées, Christian Paupineau et Guy Eyermann s’exclament: «Nous, on achetait le brut de fonderie à 6 euros et, après usinage chez Fabris, on revendait la pièce pour 9 euros. Comme quoi, du pognon, il y en a, dans les caisses de Renault et PSA. C’est là qu’on doit taper !» Après un premier déplacement chez Peugeot à Poissy, mardi dernier, les Fabris feront le siège de Renault à Boulogne-Billancourt jeudi prochain. Jusqu’ici tout va très bien. (Thomas Lemahieu)

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Les salariés d'un équipementier auto
menacent de faire sauter leur usine

Les 366 salariés de New Fabris, un fabricant de pièces pour l'automobile en liquidation judiciaire, menacent de faire sauter leur usine de Châtellerault (Vienne) s'ils n'obtiennent pas d'indemnités des groupes PSA et Renault, leurs principaux donneurs d'ordre. «Les bouteilles de gaz sont dans l'usine. Tout est prévu pour que ça saute», a déclaré hier à l'AFP Guy Eyermann, délégué CGT et secrétaire du comité d'entreprise. Ce représentant du personnel assure que la menace sera mise à exécution si un accord prévoyant le versement de 30.000 euros par salarié n'est pas signé avant le 31 juillet.

«On ne va pas laisser PSA et Renault attendre août ou septembre pour récupérer les pièces en stock et les machines encore dans l'usine […] Si, nous, on n'a rien, eux n'auront rien du tout», a poursuivi le syndicaliste.

Pour tenter de négocier cette indemnité, trois cars, soit environ 150 salariés, se sont rendus la semaine dernière au siège de PSA, et une délégation similaire se rendra jeudi prochain à celui de Renault. Les employés de New Fabris ont également rendez-vous au ministère de l'Emploi lundi 20 juillet. L'idée étant de demander au gouvernement d'intervenir auprès de groupes ayant «reçu des aides d'Etat», explique l'élu CGT.

Pour réclamer cette indemnité de 30.000 euros, les salariés se basent sur les sommes versées, selon eux, par Renault et PSA à quelque 200 salariés licenciés du groupe Rencast, également spécialiste de la fonderie en aluminium pour l'automobile. A Châtellerault, la valeur des pièces fabriquées et stockées dans l'usine est estimée par les constructeurs automobiles à 2 millions d'euros. L'usine abrite également une machine neuve de Renault, estimée elle aussi à 2 millions d'euros, selon le représentant syndical.

Les salariés de New Fabris, qui travaillaient à 90 % pour Renault et PSA, occupent en permanence l'usine depuis sa mise en liquidation par le tribunal de commerce de Lyon, le 16 juin dernier. Début 2008, le tribunal de commerce de Nanterre (Hauts-de-Seine) avait ordonné la reprise de la société Fabris par le groupe italien Zen, spécialisé dans la mécanique de précision et l'usinage en sous-traitance automobile. Zen avait repris 380 salariés sur les 416 de Fabris, mis en liquidation judiciaire début août 2007 avec poursuite d'activité. Le même Zen avait également repris, en juillet 2008, le groupe Rencast, qui vient d'être racheté par le groupe stéphanois GMD, spécialiste du découpage et de l'emboutissage.

Créée en 1947 par Eugène et Quentin Fabris, l'entreprise New Fabris était au départ un petit atelier de mécanique qui fabriquait des arbres à came de machines à coudre. Elle s'est ensuite développée, diversifiée et a compté jusqu'à 800 salariés au début des années 1990.

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«Le pire arrivera en septembre»

Entretien avec Martin Richer, directeur général de Secafi

L’été sera celui des plans sociaux ?

Clairement. Il y en aura deux ou trois fois plus que les étés précédents. Les derniers chiffres datent d’avril: le ministère du Travail a recensé 200 Plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ce mois-là, alors que, de 2002 à 2008, on se bornait en moyenne à une centaine de cas chaque mois, le pire ayant été atteint en mars 2003, avec 159 PSE. Avec la crise actuelle, on a déjà culminé à 230 PSE en février et mars. Traditionnellement, juillet et août marquaient une trêve, et seules quelques entreprises du transport routier se faisaient une spécialité d’annoncer leurs plans sociaux l’été, leurs syndicats en vacances. Mais pour cet été, nous avons prévu une permanence de nos services en août: des comités d’entreprise nous ont déjà dit qu’ils s’attendaient à des annonces… Mais le pire arrivera en septembre.

Pourquoi ?

Beaucoup de PME ont été au bout de tout ce qu’elles pouvaient organiser avant la restructuration: repos forcés, chômage partiel, formations. Elles n’auront plus le choix: ça sera PSE ou même redressement judiciaire, pour celles qui n’ont même plus l’argent pour financer un plan social…

En quoi ces plans sociaux sont-ils différents des précédents ?

Contrairement à ce qu’on entend, les syndicats sont très responsables. J’ai recensé seulement 22 séquestrations, un épiphénomène. L’UIMM (le patronat de la métallurgie), qui avait l’habitude d’aller au choc, s’est lui aussi comporté de manière constructive, tentant avant tout d’éviter les licenciements… Contrairement au Medef de Laurence Parisot qui expliquait qu’il fallait profiter de cette période pour assouplir les procédures de licenciement. Sans comprendre l’étendue du problème. Par ailleurs, jusqu’à présent, quand le chômage augmentait, c’est que le secteur tertiaire ne parvenait plus à créer autant d’emplois que l’industrie en supprimait. Pour la première fois, au premier trimestre, le tertiaire a détruit 150 000 emplois… preuve que la vague d’emplois «Borloo» n’a pas fonctionné et qu’aujourd’hui, on voit aussi de grosses restructurations dans le tertiaire.

Et pour les salariés touchés ?

Si Sanofi ou les banques peuvent encore se permettre de se séparer de leurs «seniors» en leur offrant de bonnes indemnités, la limitation des préretraites par le gouvernement rend le système bien trop cher pour les PME. Et se sont plutôt les jeunes qui trinquent. Si on ne réfléchit pas à de nouveaux contrats jeunes, nous prenons le risque d’une nouvelle fracture générationnelle. (Entretien conduit par Sonya Faure)

(15 juillet 2008)


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