France

Contre la privatisation de La Poste:
de la lutte en France à son internationalisation

Jean-Paul Dessaux *

Nous publions ci-dessous l’intervention de Jean-Paul Dessaux faite dans le cadre de l’atelier consacré aux luttes dans divers pays contre la privatisation de La Poste. Cette discussion se développa à l’occasion de l’important rassemblement de L’Autre Davos qui s’est tenu à Bâle les 29 et 30 janvier 2010. (Réd.)

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Après avoir écouté les interventions des camarades de la Suisse, de la France et de l'Angleterre, j'ai finalement décidé de commencer par la fin. C'est-à-dire par des perspectives de travail à rediscuter... Je finirais donc par le début !

J'en vois deux, principales: le rapport avec les usagers, et la nécessité d'un travail international tellement les politiques de nos entreprises sont communes.

A travers le rapport aux usagers, je voulais revenir rapidement sur la votation citoyenne évoquée par Patricio Caldéron (voir sur ce site sa contribution en date du 3 février 2010).

Nous, les Français, sommes souvent considérés comme des «donneurs de leçons», c'est vrai. Et vous avez raison... Mais il est vrai que nous sommes très fiers de cette votation citoyenne qui a réuni plus de 2;3 millions de personnes. D'abord parce que, à ma connaissance, c'est un exemple jamais vu en France. C'est la première fois ! Il n'y a pas cette culture de la votation comme en Suisse.

Ensuite parce que la Poste est très appréciée en France. Il y a la qualité. Et elle appartient à la collectivité. Mais enfin et surtout parce que les usagers constatent la dégradation qui s'opère...

Mais en même temps, un sentiment d'immense gâchis. Parce que cette votation, organisée par un comité qui représente ce qu'on peut appeler le «peuple de gauche», c'est-à-dire plus de cinquante partis, syndicats et associations, n'a pas eu de suite. Par exemple, en organisant une grande manifestion à Paris ou dans les plus grandes villes de France. Les grandes forces syndicales ou politiques, notamment le Parti Socialiste et la Confédération générale des travailleurs (CGT), ne l'ont pas voulu.

Je ne sais pas si nous aurions gagné. Mais il vaut mieux perdre un combat en étant allé jusqu'au bout. Ceci dit, tout n'est pas perdu. Et même tout commence...

En effet, nous avons convaincu l'opinion publique que c'était une privatisation. Et l'opinion publique sera attentive à ce qui va se passer. Très vite, peut être.

Je pense que la première victime sera le réseau postal. Un projet de cession des bureaux les moins rentables aux régions était déjà sur le bureau de Niclas Sarkozy avant le projet de loi.

Alors peut être que l'année prochaine, nous pourrons vous annoncer une victoire. Ou alors, il ne se serait rien passé après la privatisation, mais je n'y crois pas. Les liens qui se sont créés à l'occasion de cette campagne devront perdurer.

Sur la question de l'international, je voulais insister sur la nécessité de se coordonner car les politiques de nos directions d'entreprises présentent des similitudes qui nécessitent d'échanger largement sur cet aspect. De ce point de vue, le mouvement syndical a des dizaines d'années de retard. Et les structures internationales du mouvement syndical ne se préoccupent pas de cette question.

En ce qui concerne la poste française, je voulais pointer quatre axes stratégiques menés par la direction qui ont dégradé le rapport de forces ces dernières années. Cela pourrait s'appeler «Comment détruire en quelques années un service public de l'intérieur»
1. La remise en cause des droits des personnels.
2. La généralisation du «management de proximité» , symbole de l'autoritarisme.
3. Ce que j'appelle en forme de clin d'œil la «révolution permanente» qui est en fait la restructuration permanente, le reengineering en anglais.
4. Ce que nos dirigeants ont conceptualisé, en France, autour de la notion du «dialogue social».

• Sur le premier point, le recrutement de personnel de droit privé a débuté dans les années 95. Il y a aujourd'hui 165’000 fonctionnaires et 110’000 personnels de droit privé. Pour prendre mon exemple, je gagne, après 33 ans de carrière, environ 1 800 euros net (2500 francs suisses environ). Le collègue de droit privé gagnera environ 5 à 600 euro de moins. Sans commentaire !

• Concernant le management de proximité, cette stratégie a introduit une coupure entre les agents et la hiérarchie. Antérieurement, tout le monde allait dans le même sens, ou à peu près, pour le service public. Aujourd'hui, la hiérarchie a des obligations et des missions: noter les agents alors qu'auparavant c'était le chef de centre, déployer la politique de l'entreprise à travers par exemple les espaces temps communication (ETC), les «points com» qui durent quelques minutes à la prise de service.
Au guichet, c'est le coaching qui règne avec le directeur qui surveille et «conseille» les agents sur la vente aux «clients».
Visiblement, c'est un phénomène général qui nécessite une réflexion sur le travail en direction de l'encadrement. En effet, pour défendre un agent (pour sa notation par exemple), vous êtes obligés de remonter toute la chaîne hiérarchique et vous vous retrouvez tout de suite à remettre en cause le jugement du chef d'équipe. Alors que ce dernier obéit aux consignes générales...

• La «restructuration permanente» est un autre aspect du conditionnement idéologique. C'est une véritable idéologie et stratégie dans la mesure où, au lieu de réorganiser une fois pour toutes un service dans l'année, vous subissez deux ou trois réorganisations dans la même année. Une fois parce qu'on vous installe de nouveaux casiers, une seconde fois parce qu'on vous installe des machines de tri, une autre fois parce que l'on met en place «Facteurs d'avenir».
Cette stratégie est tellement élaborée que nos grands dirigeants l'ont institutionnalisée et systématisée. C'est la «latéralisation».
Pour faire vite, pour faire passer des projets importants, les responsables proposent une série de discussions sur des sujets mineurs. Sujets qui vont accaparer l'attention du personnel, notamment avec la mise en place de groupes de travail. Vous ne pensez plus qu'à ces sujets périphériques... L'échec de la lutte de la privatisation réside aussi, en partie, dans cette stratégie.

• Enfin, et pour finir, ce concept de «dialogue social». Ce n'est pas un hasard si on ne parle plus de négociation. On dialogue. C'est un autre axe qui vise à contourner les organisations syndicales.
Ainsi, lorsque l'annonce de la fermeture de mon centre a été faite ; je l'ai appris au même moment, sur mon portable, que les agents de mon centre. J'étais en réunion sur ce sujet avec la direction alors que les agents étaient réunis en «ETC» sur ce sujet au même moment !
Cette stratégie vise à contourner les organisations syndicales, les «appareils» sans que ce mot soit péjoratif. Ce qui n'empêche pas la répression syndicale contre les militants. Les «appareils» sont invités à discuter, mais la base doit se taire.
De fait, même l'existence d'un syndicat radical ne résout pas tout. La question est d'arriver à prendre du recul sur cette institutionnalisation pour que les syndicats parviennent à réunir les personnels sur leurs problèmes, sans être «englués» dans ce dialogue social fait de réunions à un rythme d'ailleurs très soutenu.

Tout cela pour dire que nous avons beaucoup de retard. Nos patrons travaillent ensemble et développent les mêmes stratégies. A nous de faire de même !

*Jean-Paul Dessaux, travailleur à La Poste (France) et délégué syndical de SUD-PTT.

(8 février 2010)


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