Débat L’islam politique Samir Amin * Nous initions ici la publication de diverses contributions sur «l’islam politique». «L’islamistophobie» ambiante dans les pays impérialistes suscite un juste réflexe de rejet de la part de celles et ceux qui pensent que la catégorie d’impérialisme est encore tout à fait pertinente pour saisir des évolutions économiques, sociales, politiques, culturelles à l’échelle mondiale. Mais ce réflexe peut aussi provoquer un alignement au mieux naïf au pire manipulateur face à des expressions politiques de forces développant un discours «anti-impérialiste». Une sorte de néo-campisme («pour ou contre l’URSS» selon l’ami ou l’ennemi, pour faire image) renaît. Il fait l’économie d’une analyse et d’un effort de compréhension aussi bien des processus socio-politiques en jeu dans différentes régions du monde que des conflits d’intérêts de classes qui prennent des incarnations politiques et institutionnelles comme des figures idéologiques difficiles à décoder, à dévoiler. D’où le besoin du débat. (réd.) Quelle est la nature et quelle est la fonction, dans le monde musulman contemporain, des mouvements politiques qui se prétendent la seule vraie foi islamique ? En Occident, ces mouvements sont habituellement appelés «fondamentaliste islamique». Je préfère l’expression utilisée dans le monde arabe: «L’islam politique». Nous n’avons pas là affaire à des mouvements en soi religieux – les divers groupes sont tous assez proches les uns des autres – mais à quelque chose de beaucoup plus banal: des organisations politiques dont l’objectif est la conquête du pouvoir, ni plus ni moins. Si ces organisations se drapent dans la bannière de l’islam, c’est tout simplement par opportunisme. L’islam politique moderne a été inventé par les orientalistes au service du colonialisme britannique en Inde et a été repris tel quel par Al-Mawdûdî au Pakistan [né au sud de l’Inde en 1903, établit au Pakistan en 1947 suite à la «partition» de l’Inde, avec la création du Pakistan ; il est décédé à Lahore en septembre 1979]. Sheikh Abû Al-A`lâ Al-Mawdûdî fut le fondateur, en 1941, du parti Jamaat-i-islami. Son approche visait principalement à «prouver» que les croyants musulmans ne peuvent vivre que sous le régime d’un Etat islamique, car l’islam ne peut pas permettre la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ces orientalistes, qui préparaient ainsi la partition de l’Inde, oubliaient fort à propos que les Anglais du 13e siècle avaient exactement cette conception du christianisme. L’ennemi sans merci de la libération L’islam politique ne s’intéresse pas à la religion qu’il invoque. Il ne propose aucune critique théologique ou sociale. Ce n’est pas une «théologie de la libération» analogue à ce qui s’est développé en Amérique latine [1]. L’islam politique est l’ennemi de la théologie de la libération. Il professe la soumission et non l’émancipation. Mahmoud Muhammad Taha [né du famille modeste vers 1909, dans le Soudan qui était encore une colonie britannique] au Soudan a été le seul intellectuel islamique qui a essayé de développer l’élément de l’émancipation dans son interprétation de l’islam. Quand Taha a été condamné à mort en 1985 pour ses idées par les autorités de Khartoum [2], son exécution n’a été condamnée par aucun groupe islamique, ni «radical» ni «modéré». Aucun des intellectuels qui se réclament de la «renaissance islamique» n’a pris sa défense, ni même ceux qui veulent seulement «dialoguer» avec de tels mouvements. Son exécution n’a même pas été rapportée par les médias occidentaux. Les hérauts de la «renaissance islamique» ne s’intéressent pas à la théologie et ils ne font jamais référence à des classiques de la théologie. Pour de tels penseurs, une communauté islamique se définit par l’hérédité, comme l’ethnicité, plutôt que par une conviction personnelle forte et intime. Il s’agit d’affirmer une «identité collective» et rien de plus. C’est pourquoi l’expression: «islam politique» est la désignation appropriée à de tels mouvements. De l’islam, l’islam politique ne retient que les coutumes partagées de la vie musulmane contemporaine, principalement les rituels dont il exige un respect absolu. En même temps, il exige un retour culturel complet aux règles publiques et privées qui avaient cours il y a deux siècles dans l’Empire ottoman, en Iran et en Asie centrale, sous les pouvoirs qui y dominaient alors. L’islam politique croit, ou prétend croire, que ces règles sont celles du «véritable islam», celui de l’époque du Prophète. Cela n’a pas vraiment d’importance. Il est certain que l’islam rend possible une pareille interprétation afin de légitimer l’exercice du pouvoir. De fait, c’est ainsi qu’a été utilisée une telle interprétation depuis les origines de l’islam jusqu’aux temps modernes. En ce sens, l’islam n’est pas original. La chrétienté a fait la même chose avec le christianisme pour justifier les structures du pouvoir politique et social dans l’Europe prémoderne, par exemple. N’importe qui doté d’un minimum de conscience et d’esprit critique reconnaît que derrière les discours justificateurs il y a des systèmes sociaux réels ayant passé par des histoires réelles. L’islam politique ne s’intéresse pas à cela. Il ne propose aucune analyse ou critique de ces systèmes. L’islam politique contemporain n’est qu’une idéologie basée sur le passé, une idéologie qui propose un retour pur et simple au passé, et plus précisément un retour à l’époque immédiatement antérieure à la soumission du monde musulman à l’expansion du capitalisme et de l’impérialisme occidental. Que des religions comme l’islam, le christianisme et d’autres soient ainsi interprétées d’une manière réactionnaire [au sens de retour en arrière] et obscurantiste n’exclut pas d’autres interprétations, réformistes voire révolutionnaires. Non seulement le retour au passé n'est pas souhaitable ; d'ailleurs cela n'est pas réellement souhaité par les peuples au nom desquels l'islam politique prétend parler. De plus, c'est simplement impossible. C'est la raison pour laquelle les mouvements qui constituent l'islam politique refusent de proposer un programme précis, contrairement à ce qui se fait habituellement dans la vie politique. Pour répondre aux questions concrètes dans les domaines social et politique, l'islam politique répète le slogan creux: «l'islam est la solution». Lorsqu'ils sont poussés dans leurs retranchements, les porte-parole pour l'Islam politique ne manquent jamais d'opter pour une réponse en harmonie avec le capitalisme libéral. Par exemple, lorsque le gouvernement égyptien accorde une liberté de manœuvre absolue aux propriétaires terriens, et rien du tout aux paysans ayant le statut de fermier qui travaillent leur terre dans leur malheureux effort de produire une «Economie Politique Islamique». Les auteurs de manuels sur le sujet (financés par l'Arabie Saoudite) n'ont réussi qu'à camoufler les préceptes les plus banals du libéralisme américain. sous une couche d'aspect religieux Une dictature enturbannée en Iran La République Islamique d'Iran prouve cette règle générale, malgré les confusions qui ont contribué à son succès: un développement rapide du mouvement islamiste en parallèle avec la lutte séculière, socialiste, menée contre la dictature du Shah [renversé en décembre 1978], socialement réactionnaire et alignée sur les Etats-Unis. Suite au renversement du Shah, le comportement extrêmement excentrique des mollahs était «compensé» par leurs prises positions anti-impérialistes, dont ils tiraient une puissante légitimité populaire et qui avaient des échos bien au-delà des frontières de l'Iran. Mais, graduellement, le régime a montré qu'il était incapable de fournir la direction indispensable pour stimuler un développement socio-économique vigoureux et novateur, alors qu’il disposait d’une rente pétrolière. La dictature enturbannée des hommes de religion qui ont repris celle des «Caps» (militaires et technocrates) a entraîné une dégradation massive de l'appareil économique du pays. L'Iran, qui se vantait d'avoir «fait la même chose que la Corée du Sud», se trouve maintenant dans le groupe des pays du Quart-monde. L'indifférence manifestée par l'aile de la droite dure du régime face aux problèmes sociaux que doit affronter la classe travailleuse du pays a suscité des «réformateurs», dont le but a été de modérer la dureté de la dictature théocratique, mais sans renoncer à son principe de base: le monopole du pouvoir politique. En reconnaissant l'étendue du désastre économique de la République Islamique, les «réformateurs» ont pris la décision pragmatique de réviser graduellement leurs postures «anti-impérialistes». Ils visent à réintégrer l'Iran dans le monde banal comprador [3] du capitalisme dans les périphéries. Le système de l'islam politique en Iran a atteint une impasse. Les luttes sociales et politiques dans lesquelles le peuple Iranien est maintenant plongé pourraient bientôt conduire au rejet du principe même de «wilaya al faqui», principe qui place le clergé au-dessus de toutes les autres institutions de la société politique et civile. La République islamique d'Iran n'a pas conçu un autre système politique que celui d'une dictature du parti unique monopolisé par les mollahs. On a souvent fait des comparaisons erronées entre les partis islamistes et les partis de la démocratie chrétienne en Europe. Autrement dit, puisque les démocrates chrétiens ont gouverné l'Italie durant 50 ans, pourquoi un parti islamiste ne gouvernerait-il pas l'Algérie et l'Egypte ? Mais une fois au pouvoir, un gouvernement islamique abolit immédiatement et définitivement toute forme d'opposition politique légale. Une théocratie néolibéraleSi l'Islam politique n'est qu'une version du néolibéralisme, prônant les vertus du marché - évidemment totalement dérégulé - il est aussi la négation absolue de la démocratie. Selon l'Islam politique, la loi religieuse (la sharia) a déjà donné une réponse à toutes les questions, soulageant ainsi l'humanité de la difficulté d'inventer des lois - une définition de base de la démocratie - et nous permet tout au plus d'interpréter les nuances de la loi divine. Ce genre de propos idéologiques ignore la réalité, ignore l'histoire actuelle des sociétés musulmanes, dans lesquelles il a été évidemment nécessaire d'inventer des lois, même si cela a été fait sans l'avouer. Cela signifiait que seule la classe qui gouvernait avait le droit et le pouvoir d'interpréter la sharia. L'exemple extrême de ce genre d'autocratie est l'Arabie Saoudite, un pays sans constitution, dont les dirigeants déclarent que le Coran est un substitut satisfaisant. Dans la pratique, la Maison des Saoud a le pouvoir d'une monarchie absolue ou d'une chefferie tribale. L'islam politique contemporain n'est malheureusement pas le résultat des soi-disant abus du sécularisme, comme cela a souvent été expliqué. Aucune société musulmane de l'époque moderne – sauf sous des formes spécifiques dans l'ancienne Union Soviétique – n'a jamais été réellement laïque, et encore moins été offensée par les innovations audacieuses d'un pouvoir athée et agressif. Les états semi-modernes de la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk [qui arrive au pouvoir en 1923, décède en 1938], de l'Egypte de Nasser [1954-1970|, de l'Irak et de la Syrie du Baas [4], ont seulement domptés les hommes de religion (comme cela s'est souvent passé autrefois) pour leur imposer des idées dans le seul but de légitimer les options politiques de l'Etat. En fait, l'islam politique n'est rien d'autre qu'une adaptation au statut subordonné du capitalisme comprador. Sa prétendue forme «modérée» constitue probablement le principal danger qui menace le peuple, puisque la violence des «radicaux» ne sert qu'à déstabiliser l'Etat en attendant l'imminente installation d'une nouvelle puissance compradore qui s'ajuste aux objectifs des «modérés» si aimés par l'Occident (ceux en Iran en sont un bon exemple [5]). Le soutien constant offert par les diplomaties pro-américaines des pays de la triade (Etats-Unis, Europe et Japon) vers la recherche de cette «solution» au problème est tout à fait cohérent avec leur désir d'imposer l'ordre néolibéral globalisé au service du capital dominant transnational. La combinaison d'une économie libérale et d'une autocratie politique convient parfaitement à la classe compradore dominante chargée de gérer les sociétés à la périphérie capitaliste contemporaine. Les partis islamistes sont tous des instruments de cette classe. Cela est vrai non seulement des Frères musulmans et d'autres organisations considérées comme modérées, et dont les liens étroits avec la bourgeoisie sont bien connus. C'est également vrai des petites organisations clandestines qui pratiquent le «terrorisme». Les deux sont des instruments utiles de l'islam politique, et la division du travail est hautement complémentaire entre ceux qui utilisent la violence et ceux qui infiltrent les institutions d'Etat (surtout dans les domaines de l'éducation, du judiciaire, des médias de masse, et, si possible, de la police et des militaires). Pour tous ces groupes et activités, il y a un seul objectif: la saisie du pouvoir d'Etat, même si au lendemain de la victoire prévue, les «modérés» mettront un terme aux excès des «radicaux». Immédiatement après la révolution iranienne, les mollahs ont massacré les militants se positionnant à gauche (Fedayin et Mujahedin) ; ils avaient tenté de faire cause commune entre leurs objectifs populistes révolutionnaires, inspirés par le Socialisme, et la mobilisation plus profonde de l'islam politique. Sans les Fedayins et Mujahedins, le triomphe de la révolution «islamique» (sous la direction de Khomeyni) n'aurait pas pu s’imposer de la même façon. Depuis lors, les mollahs ont recruté et entraîné des millions de terroristes politiques parmi le lumpen-prolétariat dans le but d'appliquer leur autorité. Les structures de pouvoir existantes contre lesquelles les mouvements de l'islam politique se heurtent, actuellement, dans de nombreux pays sont les couches compradores, la bourgeoisie nationale de la région, complètement subordonnée aux diktats de la globalisation néolibérale. Les classes compradores ne sont pas particulièrement démocratiques, même lorsqu'elles offrent des élections parlementaires qu'elles appellent «multipartis» et souvent ils prennent prétexte du terrorisme islamique pour justifier leur refus d'une démocratie significative, comme en Algérie [les élections sont suspendues en 1992, après la montée du FIS – Front islamique du salut – lors des élections municipales de 1990 et lors des législatives de 1991, qui marquaient pourtant un recul par rapport à 1990]). Ce que cela signifie, c'est que l'affrontement entre les compradores et les islamistes n'est qu'un conflit entre factions des classes dominantes – une lutte pour le pouvoir, rien de plus, entre des dirigeants concurrents et leurs clients. Selon les circonstances, la forme du conflit varie, allant de l'extrême violence, comme c'est le cas en Algérie, au dialogue, comme en Egypte, où le gouvernement mène des pourparlers directs avec les Frères Musulmans. Les deux parties dans le conflit utilisent la démagogie islamique dans leurs tentatives de capturer pour leur propre bénéfice l'allégeance d'une population qui se trouve dans la confusion sur le plan politique. La confusion politique contemporaine ressemble de près à celle qui a suivi la déception des espoirs suscités par les nationalismes populistes de la période précédente. Cependant, la bourgeoisie au pouvoir est loin d'être laïque. Elle prétend être aussi «islamique» que ses adversaires, par exemple en donnant force de loi à beaucoup de préceptes de la loi islamique – surtout dans le domaine de la famille – transformant ainsi la ruse en réalité. Les solutions de «compromis» qui en résultent renforcent inévitablement l'ordre néolibéral et antidémocratique dominant. Ainsi, les pouvoirs politiques et économiques dominants à l'échelle internationale, conduits principalement par les Etats-Unis, ne voient aucun inconvénient dans l'exercice du pouvoir par l'islam politique. Cela nous en dit beaucoup sur l'hypocrisie des tenants occidentaux de la «démocratie», et démontre que, contrairement à l'idée que «marché» égal «démocratie», ces deux «principes» sont en conflit direct dans les faits. Complémentarité idéologiqueLoin d'être antinomiques, les discours du capitalisme néolibéral globalisé et celui de l'islam politique sont complémentaires. L'idéologie des «communautarismes» américains, actuellement à la mode, fait écran à la conscience et aux luttes sociales, et les remplace par les prétendues «identités» collectives qui les ignorent. Cette idéologie est donc parfaitement apte à être manipulée dans la stratégie du capitalisme dominant, puisqu'elle transfère le combat de la scène des réelles contradictions sociales au monde imaginaire que l'on dit être culturel, transhistorique et absolu, alors que l'islam politique est justement un «communautarisme». La diplomatie des puissances du G7, et en particulier celle des Etats-Unis, choisit en connaissance de cause de soutenir l'islam politique. Le G7 fournit ainsi soutien et assistance à des pays allant de l'Egypte à l'Algérie, en passant par l’Arabie saoudite. En Afghanistan, le soutien étatsunien et des pays de l’UE (France, Allemagne, etc.) n'a pas hésité à présenter, à l’époque, les islamistes afghans comme «des combattants de la liberté» contre «l'horrible dictature du communisme». Or, ce dernier était en fait une sorte despotisme éclairé, moderniste, national et populiste, qui avait eu l'audace d'ouvrir des écoles pour les filles. Les dirigeants occidentaux savent que l'islam politique a la vertu – pour eux – de laisser les peuples concernés sans défense, et donc de permettre facilement leur transformation en position subalterne. Au vu de son cynisme inhérent, l'establishment américain sait comment tirer un deuxième avantage de l'islam politique. Les dérives barbares des régimes inspirés par l'islam politique - par exemple les Talibans en Afghanistant - ne sont pas du tout des dérives, mais font en réalité partie intégrante de la logique de leurs programmes. Ils peuvent, au besoin, être exploités à chaque fois que l'impérialisme estime utile d'intervenir brutalement. La «sauvagerie» attribuée aux peuples qui sont les premières victimes de l'islam politique est susceptible d'encourager l'«islamophobie», ce qui peut faciliter l'acceptation d'un «apartheid global», résultat logique et nécessaire d'une expansion capitaliste en perpétuelle polarisation. Le soutien occidental à l'islam politique a atteint des proportions grotesques en fournissant des armes, du soutien financier et de l'entraînement militaire aux agents de l'islam politique. Dans le cas de l'Afghanistan, le prétexte était la «lutte contre le communisme», mais le comportement odieux de ces islamistes (fermeture des écoles pour filles qui avaient été ouvertes par les terribles «communistes») n'ont apparemment suscité aucun regret, ni de la part des gouvernements qui les soutenaient ni de la part des organisations féministes occidentales. Ceux que l'Occident appelait des «combattants de la liberté afghans» (en réalité des voyous entraînés par la CIA) et «volontaires» (musulmans algériens, égyptiens et autres), jouent actuellement des rôles décisifs dans des actions militaro-terroristes autour du globe, y compris dans de villes importantes des US. Le soutien à l'islam politique a inclus la rubrique illusoire du statut de «réfugié politique», offert par les US, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, et qui a donné aux militants de l'islam politique la force nécessaire pour organiser et diriger leurs opérations depuis l'étranger, avec un maximum d'efficience et un minimum de risque. L'accompagnement idéologique de cette alliance entre les puissances occidentales et l'islam politique est une campagne permanente de légitimation dans les médias occidentaux, qui se traduit généralement par une distinction illusoire entre «modérés» et «radicaux», ou des louanges pieuses des vertus de la diversité multiculturelle, si chère aux Américains, comme tout le monde le sait. De telles formes de «respect» pour les diverses «communautés» sont très utiles pour la gestion des objectifs du néolibéralisme et de la globalisation capitaliste, car ils n'impliquent aucune confrontation sur le terrain des véritables défis. Les «communautés» en question jouent le jeu du néolibéralisme, en faussant le débat, si et quand il a lieu, en le détournant des problèmes réels et pratiques, ici et maintenant, vers les régions inoffensives célestes de l'imaginaire culturel. L'islam politique n'est ainsi en aucune manière l'adversaire de l'impérialisme, mais au contraire, son parfait serviteur. Ce fait n'empêche pas les idéologues occidentaux et les faiseurs d'opinion de faire appel, chaque fois que cela est nécessaire, aux formules de contes de fées de l'islam en tant qu'ennemi implacable de la modernité occidentale, le «choc des cultures» si cher à Samuel Huntington et à ses mécènes de la CIA. De telles guerres ne se déroulent que sur le plan de l'imaginaire, alors que dans le monde réel, les victimes des «communautés» représentées par l'islam politique souffrent terriblement sous des coups très réels. D'ailleurs, la guerre idéologique fournit encore un écran de plus pour l'intervention militaro-politique par les Etats-Unis et ses «alliés» subalternes, quand et où le besoin se manifeste. Nous ne devrions pas être surpris si les Etats-Unis étaient satisfaits des services que rend l'Islam politique à son projet d'hégémonie mondiale. Washington ne désigne comme ennemi aucun mouvement de l'islam politique à l'exception du Hamas, en Palestine et du Hetzbollah au Liban (avant le 11 septembre) et des Talibans (post-11.9). Le fait qu'avant le 11 septembre le Hamas et le Hetzbollah aient été désignés par le Département d'Etat américain comme étant des «organisations terroristes» était clairement un accident de géographie politique, puisque les deux s'opposaient à l'Etat d'Israël, ce qui était évidemment prioritaire dans les considérations des Etats-Unis. Le Hamas et le Hetzbollah sont les seules manifestations de l'islam politique qui se battent contre une occupation militaire étrangère, alors que les autres dirigent leur violence seulement sur leurs compatriotes. Deux poids, deux mesures et de l'hypocrisie - pouvons-nous attendre autre chose de la part des impérialistes ? Pour conserver et étendre son hégémonie, les Etats-Unis doivent toujours donner une importance prioritaire à ses interventions militaires. Si nous l'oublions ce sera à notre propre péril. * Samir Amin est né en Egypte en 1931. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages. On citera parmi les derniers Pour un monde multipolaire (Ed. Syllepse, 2005), Communiste dans le monde arabe (Ed. Le Temps des Cerises 2006), Les luttes paysannes et ouvrières face aux défis du XXIe siècle: l’avenir des société paysannes et la reconstruction du front uni des travailleurs (en collaboration avec Bjorn Beckman, Lin Chun, et Abdelnasser Djabi (Les Indes savantes, 2005), L’économie arabe contemporaine (Ed. de Minuit 2006). Samir Amin préside le Forum mondial des alternatives (FMA). Il travaille à Dakar et est souvent présent en Egypte. Sa trajectoire politique est complexe, elle passe du PCF (lorsqu’il fit ses étude en France), puis à un maoïsme un peu sui generis (y compris, avec une attitude initialement favorable au «Kampuchea démocratique», pour reprendre la voie d’une analyse «marxisante» des processus socio-économiques mondiaux. Comme toujours, seul la lecture de ses articles et ouvrages – nombreux – permettra aux lectrices et lecteur de se faire une opinion. 1. Voir à ce sujet l’ouvrage de Michael Löwy, La guerre des dieux. Religion et politique en Amérique Latine, Paris, Ed. du Felin, 1998 et l’article sur ce site, du même auteur, intitulé: «La théologie de la libération: Leonardo Boff et Frei Betto», mis en ligne le 16 janvier 2007. (NdR). 2. En 1945 Mahmoud Muhammad Taha crée un Parti républicain, lorsque le Soudan est encore sur contrôle britannique. Cela lui vaudra répression et emprisonnement. La très influente université Al Azhar du Caire dénonce «l'apostasie» de Taha. Et l'apostasie, d'après la Charia, cela mérite la mort. En 1969 un coup d'état donne le pouvoir au général Nimeiry, considéré comme nationaliste de gauche. Le Parti Républicain lui apporte soutien mesuré. Cela n'empêche pas Taha d'être emprisonné pendant un mois en 1976 pour avoir critiqué le pouvoir saoudien et son rigorisme religieux. En effet, l'Arabie saoudite est aussi un bailleur de fonds vital pour le Soudan. Dès 1983 Nimeiry opère un renversement d'alliance au profit des Islamistes qu'il avait jusque-là combattus. Cela ne se fait pas sans concession. Le PC soudanais paiera le prix. L'établissement progressif de la Sharia s’effectue. Il y aura bientôt l'arrestation de la bête noire des Islamistes, Mahmoud Muhhamad Taha. En janvier 1985, plusieurs de ses partisans sont arrêtés à Omdurman pour avoir diffusé un tract critiquant le pouvoir. Taha organise une manifestation pacifique. Il est arrêté lui-même le 7 janvier. Le procès a lieu le 8 janvier 1985 et aboutit à une sentence de mort. On leur accorde toutefois trois jours pour se «repentir», ce qui est conforme à la Charia… Taha maintient ses positions alors que ses quatre coaccusés se sauvent en acceptant de se repentir. Il est pendu le 20 janvier au matin. (NdR) 3. Couche sociale, en général commerçante ou rentière, qui sert les intérêts d'occupants coloniaux ou les intérêts néocolonialistes. (NdR) 4. Le Baath (Renaissance en arabe) est le parti politique au pouvoir en Irak et Syrie depuis les années 1960. Le mouvement baathiste a été créé à Damas dans les années 40 par le chrétien Michel Aflak et le musulman sunnite Salah Al Din Bitar. En 1953, ce mouvement prend le nom de Parti baath Arabe Socialiste. Il atteint son apogée dans les années 60, et devient l'une des principales expressions du nationalisme arabe. (NdR) 5. Le président Mahmoud Ahmadinejad est présenté comme la figure publique des «radicaux». Par contre, Mohammad Hachémi, le frère de l’ex-président Akbar Hachémi Rafsandjani, et Hassan Rohani, dirigeant l’équipe des négociateurs sur la question du nucléaire sont qualifiés de «modérés». (NdR) (15 janvier 2007) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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