Cuba

 

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Réforme agraire et bureaucratie

Fernando Ravsberg *

Le 24 septembre, le gouvernement cubain a annoncé la suppression de subsides pour les cantines pour les employés de quatre ministères. Cela concrétise la réduction des dépenses publiques telle que l’avait annoncé Raul Castro en août 2009. Les ministères concernés sont ceux du Travail et de la sécurité sociale, des Finances, du Commerce intérieur et, enfin, de l’Economie et de la planification. Les employés recevront une aide journalière de 15 pesos, soit 0,5 euro. Pour rappel, le salaire moyen mensuel à Cuba est de 408 pesos, soit 12 euros. Raul Castro a reconnu que le salaire des Cubains était clairement insuffisant pour répondre à l’ensemble des besoins fondamentaux.

Le nombre total de cantines gratuites pour les salarié·e·s s’élève à 24'700. Elles sont fréquentées par 3,5 millions de travailleurs employés par l’Etat, soit un peu moins d’un tiers de la population (la population totale est estimée à 11,3 millions). Le quotidien Granma a indiqué que la suppression des subventions, qui se fera par étapes, avait pour but de «libérer le pays d’une charge qu’il n’est plus en condition de pouvoir assumer». De plus, selon le quotidien argentin Pagina 12 (27 septembre 2009), le ministre de l’Economie, Marino Murillo, a déclaré que, lors d’une enquête dans diverses cantines, des réserves importantes avaient été découvertes. Une partie de ces «stocks», qu’il estimait à 35 millions de dollars, terminait sur le marché noir. Ce qui est un bon indice de corruption.

Un quart des aliments doivent être importés, dans la mesure où la production agricole cubaine ne peut satisfaire les besoins du marché intérieur. On comprend dans ce contexte l’importance de la dite réforme agraire. (Réd.)

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A cause de son importance sur le plan économique, le changement le plus important entrepris par le gouvernement de Raul Castro [qui a le poste de président depuis férvier 2008] est la réforme agraire. Il s’agit d’une mesure qui est en train de modifier le mode de possession de la terre en faveur de formes plus productives.

Les entreprises d’Etat disent n’avoir pas suffisamment de sacs pour la quantité de riz récolté.

Officiellement on affirme qu’au niveau national on a trouvé environ 1'700'000 hectares qui n’étaient jusque-là pas utilisés de manière productive. Deux tiers de ces terres ont déjà été demandées par des familles intéressées. Jusqu’à maintenant 80'000 nouvelles propriétés ont été cédées et sont déjà en train de produire [voir sur ce site l’article publié le 24 juillet 2009: «Les paradoxes de l’économie cubaine»].

Les fermes d’Etat de type kolkhoze soviétique sont en train de disparaître sous le poids de leur propre inefficacité. Depuis 50 ans de tentatives infructueuses, les autorités semblent reconnaître l’évidence: ce sont les petits paysans qui sont le plus productifs.

C’est d’eux que provient le 60 % des aliments produits dans le pays, malgré le fait qu’ils ne détenaient que 20 % des terres cultivables. Avec l’actuelle réforme, leur productivité a encore augmenté en flèche, à tel point que l’Etat se trouve dans l’incapacité d’engranger la totalité de leurs récoltes.

Le doublement des récoltes

Pour mieux comprendre comment a progressé le processus de transfert des terres et quels en sont ses premiers résultats, nous avons visité la Coopérative Roberto Negrin, de Punta Brava, dans la banlieue de La Havane. Nous y avons discuté avec les paysans.

Gaspar Palermo, président de la coopérative, a expliqué à la BBC Mundo que grâce à la nouvelle politique: «Notre coopérative dispose de 40 % de plus de terres. (…) En outre le nombre de membres de la coopérative a augmenté, nous étions 87, et maintenant nous avons été rejoints par 27 nouveaux membres.»

Il affirme qu’actuellement: «L’Etat accorde davantage de facilités pour produire, paie dans les délais ses dettes envers la coopérative, et en septembre 2009 il a augmenté de manière substantielle le prix payé aux paysans pour les produits. Ils nous paient aussi en partie en CUC (pesos convertibles en dollars).»

Les résultats de la nouvelle organisation agroalimentaire sont évidents: «Nous avons doublé  la production et nous pourrions encore l’accroître de 100 %, mais pour cela il nous faudrait des systèmes d’arrosage», précise Palermo.

Ils quittent les bureaux

Parmi les nouveaux paysans il y a de tout. Juan Carlos Ruiz, qui travaillait dans un bureau, nous raconte fièrement: «J’ai reçu la terre il y a environ 7 mois et j’ai déjà livré pas mal de quimbombos [fruit de l’Hibiscus esculentus utilisé entre autres dans cuisine cubaine], de bananes, de laitue et de betteraves.»

Le militaire retraité Denis Pupo a déclaré à BBC Mundo que cela lui est égal d’avoir reçu la ferme en usufruit gratuit. Il a assuré: «Cela ne nous préoccupe pas de n’avoir pas la terre en propriété puisqu’à Cuba il y a le principe que la terre appartient à celui qui la travaille.»

José Ramon Arango, retraité du Ministère du commerce extérieur, s’est lancé dans l’élevage de porcs. Il nous dit qu’en une année: «Nous avons déjà pu livrer 9.3 tonnes de viande de porc.» Le domaine utilise des déjections des animaux pour faire fonctionner une installation de biogaz qu’ils ont eux-mêmes construite.

Nous avons demandé pourquoi ils étaient venus à la campagne. Et ils ont tous parlé de l’appel de Raul Castro. Nous avons également appris que le paysan cubain gagne 20 fois plus qu’un travailleur employé par l’Etat, en plus d’avoir une assurance pour son alimentation.

«Des mécanismes diaboliques»

Le fait de céder des terres aux paysans semble avoir été une réussite, mais les paysans ont aussi besoin de biens d’investissement [intrants divers et matériel agricole]. Les membres des coopératives nous expliquent qu’ils pourraient encore doubler leurs récoltes s’ils disposaient de quelques fournitures de base comme des engrais, du fil de fer et des tuyaux d’arrosage.

Mais même sans cela, la production d’aliments a augmenté en flèche. Et c’est l’Etat qui n’arrive pas à faire sa part. Une grande partie de la récolte de tomates a été perdue parce que les autorités n’avaient pas de caisses en nombre suffisant, et maintenant ce sont les sacs pour engranger la récolte de riz qui font défaut.

«Le paysan peut produire encore davantage, nous avons subi trois cyclones, mais nous avons relevé l’agriculture en six mois», rappelle le coopérateur Gaspar Palermo. Il affirme: «Ce qui échoue c’est la distribution, c’est l’Etat qui ne parvient pas à remplir ses obligations.»

Jorge Alfonso, président d’une autre coopérative, a expliqué à BBC Mundo que le système de distribution passe par tellement d’étapes, avec des camions et des stockages, que «les produits parviennent au consommateur après avoir reçu 11 coups».

Tous sont d’accord sur le fait qu’il est indispensable d’alléger les «mécanismes diaboliques» dans le transport et la distribution, qui sont provoqués par des entreprises et des ministères qui ont déjà révélé leur inefficacité. Alfonso avertit: «Si nous ne voulons pas à nouveau perdre des récoltes, il faut raccourcir la distance entre les paysans et le consommateur.» (Traduction A l’encontre)

* Correspondant de la BBC Mundo à La Havane.

(30 septembre 2009)

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