Grève des ouvriers polonais de Saint-Nazaire
Nicolas de la Casinière *
Nous
avons déjà publié sur ce site l’odyssée – que d’aucuns nomment «libre
circulation» – d’un travailleur polonais des chantiers navals. Nous publions
ci-dessous une autre dimension de l’exploitation « libre et
organisée » de travailleurs polonais par une entreprise de travail
temporaire. C’est le parcours « promis » à d’autres salariés de
Pologne ou d’Allemagne lorsque les entreprises temporaires deviennent la ressource
essentielle de la sous-traitance. Ce sera (et c’est déjà) le cas en Suisse si
des droits syndicaux et sociaux plus stricts et appliqués ne sont pas obtenus.
Voilà un exemple d’une véritable « prise en otage » de travailleurs
venant d’un des dix nouveaux pays de l’UE. On ne peut qu’espérer que leurs
possibilités de lutte pourront s’exercer en Suisse avec l’appui des syndicats
helvétiques, qui aujourd’hui promettent tout… pour faire voter oui comme le
patronat le demande le 25 septembre. – Réd.
Pendant plusieurs jours, ces ouvriers venus de Szczecin et Gdansk, en Pologne, pour
poser des câbles électriques sur le paquebot MSC Musica n'avaient plus rien à
manger. Leur employeur polonais ne leur avait pas versé la maigre indemnité en
liquide 162 euros par mois destinée à assurer l'ordinaire. Avec 5,40 euros
par jour, il leur fallait faire quelques achats parcimonieux dans les discounts
alimentaires locaux. Jeudi matin, tenaillés par la faim, ils se sont résolus à
se mettre en grève, conscients que ce geste marquait illico la fin de leur
mission en France, qui devait durer quatre mois de plus. Et se sont enchaînés
aux grilles de la porte 4 du chantier naval nazairien.
«Marchand d'hommes.»
Leur problème n'est pas que d'intendance. Certains
n'ont pas touché le moindre salaire, versé en zlotys, en Pologne, depuis deux
mois, c'est-à-dire depuis leur arrivée en France. Ils ont fait leurs comptes :
leur patron leur doit 44 000 euros d'arriérés. Et, même si vendredi soir on
leur a versé une enveloppe de 13 600 euros à se répartir, ils la considèrent
comme un simple acompte.
Les responsables de l'entreprise polonaise Kliper n'ont pas daigné se montrer à
Saint-Nazaire. Née il y a un an, pour ce marché, cette microsociété est
sous-traitante de second rang des Chantiers de l'Atlantique, via une société de
la région nazairienne qui a consenti à verser un petit tiers des salaires en
retard. «S'ils avaient eu de quoi manger normalement, c'est
probable qu'ils auraient pu continuer à bosser gratuitement, sans se révolter»,
explique Joël Cadoret qui, avec la CGT, a accueilli et nourri les
électriciens polonais. Ils ont dévoré le casse-croûte qu'on leur a offert.
Epuisés de fatigue, certains se sont endormis sur la table du local syndical.
Les Restos du coeur ont été sollicités pour assurer les repas à venir. «Ce
matin, on a acheté des baguettes et servi du café, reprend
Joël Cadoret. C'est quand même pas normal que ni le donneur
d'ordre, ni Alstom Marine (propriétaire des Chantiers, ndlr) ne
puissent les nourrir, et n'offrent aucune solution.» Au-delà,
le syndicaliste dénonce l'ensemble de la chaîne de sous-traitance et s'en prend
aux Chantiers. «Ceux qui nous demandent de jouer les bons
Samaritains, de régler l'affaire sans trop faire de bruit, sont les mêmes qui
ont organisé cette sous-traitance en cascade, sans la contrôler ! C'est
inadmissible. L'employeur polonais, c'est un marchand d'hommes créé de toutes
pièces, pratiquement une société fantôme, qui n'a pas de trésorerie.»
Main-d'oeuvre arrangeante.
A Saint-Nazaire, ce conflit donne une impression de
déjà-vu. En 2003, lors de la construction du paquebot Queen
Mary 2 , les mêmes Chantiers de l'Atlantique avaient connu une série de conflits
sociaux. Des Indiens, des Roumains et des Grecs s'étaient mis en grève pour de pareils
retards de salaires. Ces conflits avaient déjà mis au jour la manière dont les
sous-traitants passent des marchés au rabais avec une main-d'oeuvre de pays à
bas salaires, plus «arrangeante» sur les entorses au code du travail français
et aux ponctions diverses sur les fiches de paie, tant que ces salariés
déplacés gagnent plus que dans leur pays d'origine. Interrogée, la direction
d'Alstom Marine n'a pas souhaité s'exprimer.
* Publié dans Libération du samedi 23 juillet 2005.
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