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Votation du 21 mai
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Il faut refuser le développement d’un marché de la formation

Philippe Martin

Pas moins de sept partis ont organisé une conférence de presse commune le 19 avril pour soutenir les nouveaux articles constitutionnels sur la formation, en vue de la votation fédérale du 21 mai. Aux quatre partis de la coalition gouvernementale (UDC, PSS, PRD, PDC) se sont joints les Libéraux, les Verts et les Evangéliques. La parfaite harmonie existant au sein de la classe politique est censée illustrer la future harmonisation du système de formation suisse. A côté de la notion d’harmonisation, celle de mobilité a été le maître mot des intervenants, comme l’ont souligné les agences de presse.

Le consensus autour de ces articles constitutionnels rejoint celui qui a prévalu au moment de la signature de la Déclaration de Bologne, en juin 1999, par tous les ministres européens de l’éducation. L’analogie ne s’arrête pas là: les accords de Bologne ont eux aussi été présentés comme le moyen de faciliter la mobilité géographique des étudiants et d’harmoniser les cursus. Ces accords portent pour titre officiel «espace européen de l’enseignement supérieur». Le paquet d’articles constitutionnels en votation le 21 mai vise quant à lui à créer un «espace suisse de formation» (art. 61a). Dans son prolongement, un «espace romand de la formation» devrait en outre être édifié, selon le projet de Convention scolaire romande.

A quoi avons-nous assisté avec la mise en place de Bologne ? Les associations d’étudiants dénoncent (à juste titre, mais souvent sans en tirer toutes les conséquences): une scolarisation des filières universitaires, une restriction de la liberté académique, un accroissement des inégalités sociales dans l’accès aux études et la tendance à concevoir les études comme un «supermarché».

Ces constats permettent de faire ressortir ce qui unit fondamentalement Bologne et les modifications de la Constitution fédérale (dont les enjeux ont été présentés dans La brèche No 21). L’objectif est rigoureusement le même: mettre en place un marché (appelé pudiquement «espace») de la formation et poser les bases d’une concurrence entre «fournisseurs de services» publics et privés. Dans ce processus en cours au niveau européen, la Suisse jouerait une nouvelle fois l’élève modèle, en inscrivant dans sa Charte fondamentale le principe d’une «égalité de traitement» entre les institutions de formation (art. 63a), qu’elles soient publiques ou privées.

C’est cette orientation politique qui devrait être au cœur des débats avant le vote. Mais elle est soigneusement esquivée par les partisans du oui (droite et «gauche» confondues) et par la majorité des médias, qui se contentent d’un discours publicitaire axé sur des termes aussi flous que démagogiques: «qualité», «harmonisation», «mobilité», etc. La plupart des opposants aux nouveaux articles ne contribuent d’ailleurs pas à faire apparaître les véritables enjeux. Les milieux maurrassiens comme la Ligue vaudoise refusent la modification constitutionnelle au nom de la défense du fédéralisme et des risques de «diktat» de la Confédération. Les parlementaires d’«à gauche toute» se situent sur le même plan institutionnel, en motivant principalement leur opposition par le «flou juridique» et la perte de «contrôle démocratique» par les parlements cantonaux.

D’un point de vue de gauche, c’est une autre orientation qu’il s’agit de développer. Cela exige de prendre la mesure de l’offensive néolibérale dans le domaine de la formation. Cette offensive a déjà fortement transformé les Hautes écoles, qui sont de plus en plus soumises aux logiques de la concurrence et de la compétitivité. Elle se diffuse, plus discrètement, dans la scolarité obligatoire, où des mécanismes de gestion managériale sont progressivement introduits. De nouveaux pas en avant sont régulièrement franchis, comme la toute récente proposition du Parti radical de mettre en concurrence les écoles de maturité (gymnases). Il s’agit donc de combattre résolument les attaques néolibérales et de proposer d’autres perspectives, fondées sur un véritable droit à la formation. Au lieu de s’engager sur cette voie, l’essentiel de la dite «gauche» fait campagne pour une révision constitutionnelle qui pose les bases d’une libéralisation complète du «marché» des Hautes écoles et d’une soumission du système scolaire à une conception managériale et élitaire de la formation. L’avenir est ailleurs.
 
         
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